Matthieu M. - Publié le 28 juin 2019
MELTING-POT - Coco Velten, inauguré en mars 2019, est une expérimentation inédite : regrouper un foyer social et des bureaux pour acteurs économiques. Une première !
Sur le papier, le concept a tout d'un grand délire de startupper à la recherche d'un “storytelling” éthique pour attirer les investisseurs : faire cohabiter, au sein d'une même structure un foyer d'accueil de personnes sans-abri et des activités économiques où l'on encourage l'entrepreneuriat.
Pourtant, l'objectif principal de cette expérimentation est de faire interagir des groupes de personnes qui, a priori, ne se fréquentent jamais. Et pour faire tourner cette “colocation géante”, qui porte le nom de Coco Velten, trois associations assurent le pilotage : SOS Solidarités s'occupe du foyer, Plateau Urbain anime la communauté d'acteurs économiques et enfin Yes We Camp, également responsable des Grands Voisins à Paris, gère la direction globale du projet.
C'est dans un grand bâtiment, au 16 rue Bernard du Bois, à deux pas de la gare Saint Charles à Marseille, que se trouve ce laboratoire social et culturel.
Impliquer l'ensemble des résidents à la vie du bâtiment
Alors que nous déambulons dans le bâtiment, nous faisons la rencontre d'Anne-Claire, qui travaille pour l'une des 40 structures économiques de Coco Velten. “Je me charge de l'accueil lundi matin, c'est une première pour moi. Je suis venue me renseigner pour savoir ce que je dois faire”, nous explique-t-elle. Car ici tout le monde met la main à la patte comme nous le confirme Kristel Guyon, coordinatrice du projet pour Yes We Camp. “Pour être admises, les structures candidates devaient exprimer le besoin de bureaux pas cher, l'envie de s'impliquer avec le quartier mais aussi le désir de faire des choses avec les résidents du centre social.”
Pour cela, les entreprises, essentiellement sociales et culturelles, développent des projets avec les personnes hébergées, comme Tabasco Video, média participatif qui collabore avec les résidents pour les sensibiliser à l'audiovisuel. Mais l'interaction entre les différentes entités passe aussi par la mise en oeuvre de projets collectifs. “Il y a le cercle végétalisation qui fait des semences locales méditerranéennes sur le toit terrasse, on distribue ensuite les graines dans le quartier”, explique Kristel Guyon.
Yassine, lui, préfère cuisiner. “Chaque mercredi, il y a le repas prix libre. Je me suis proposé pour faire une soupe marocaine, la dernière fois j'ai fait un couscous”, raconte-t-il. Cela faisait six ans que cet homme de 37 ans, venu du Maroc n'avait pas eu accès à une vraie cuisine. Installé au foyer depuis mars 2019, après une année passée à jongler entre la rue, le squat et l'hébergement social, Yassine a trouvé ici une structure bienveillante pour se remettre sur pieds.
“C'est une grande expérience à vivre. Cela me permet de dialoguer, d'avoir de l'expérience des autres. Ça me donne de l'énergie et ça tombait bien j'en avais besoin”, souligne-t-il.
Un tremplin vers le logement et l'autonomie
Yassine et les 35 autres personnes sans-abri occupent les 1700 m2 de la partie sociale du projet, répartie sur trois niveaux. Dès l'ouverture, le foyer a dû faire face à une demande très urgente, nous apprend Erick-Noel Damagnez, responsable du projet social au sein de SOS Solidarité. “On a dû transformer des bureaux en chambres. On a créé 21 places pour des personnes seules, des chambres de deux et plus.” En quelques semaines de nombreuses personnes se sont présentées mais malgré la volonté d'accueillir le plus de monde possible, l'association est obligée de faire des choix. Les 45 lits que compte le foyer ne sont pas encore tous occupés.
“On nous demande d'être un tremplin vers le logement, de recevoir des personnes qui disposent de droits et donc majoritairement régularisées. On ne peut pas accueillir trop de personnes qui n'ont pas d'avenir administratif et ne seront pas capables de nous quitter”, précise-t-il.
Le responsable de SOS Solidarité ajoute que le but est d'accompagner les personnes sans-abri vers le logement. “Dès que possible, on les place dans un logement accompagné en ville, pour qu'ils puissent aller vers un logement durable ensuite.” Et d'ajouter : “l'idée c'est que ce passage soit juste un mauvais souvenir dans leur parcours de vie.”
Faire partie de la vie du quartier en trois ans seulement
Tantôt accusé de gentrifier un quartier prioritaire de la ville, celui de Belsunce, tantôt accusé de “faire venir les pauvres”, explique Kristel Guyon, Coco Velten a réussi son pari malgré les réticences. Depuis son inauguration en mars dernier, le lieu s'est intégré au quartier et les habitants se l'approprient de plus en plus. En proposant une programmation variée et gratuite, le projet a pour ambition d'attirer tous les publics : “on peut faire un scrabble en journée, organiser un atelier masque pour enfants et faire un concert de rap avec les jeunes du quartier le soir”, précise-t-elle.
Mais Coco Velten est en Contrat à Durée Déterminée puisque d'ici trois ans, la ville de Marseille reprendra possession des lieux, sans doute pour en faire une école. Les archives, dernier espace à inaugurer, sont encore en travaux, comme une bonne partie du bâtiment qui souffre de problèmes de chauffage ou d'infiltration d'eau.
Au-delà de ces détails techniques, les personnes que nous avons rencontrées semblent toutes animées par le même désir sincère de créer du lien et donner du sens. “C'est chaleureux, je me sens comme en famille”, nous lance Yassine qui retourne préparer sa soupe marocaine.