Laura Girsault - Publié le 6 mars 2019
TROU DE MÉMOIRE - J'ai la mémoire qui flanche - J'me souviens plus très bien. Ça nous arrive souvent, n'est-ce pas, cette panique de savoir si on a bien fermé la porte de chez nous. Mais pourquoi ?
Le temps passe très vite le matin, et on ne se rappelle pas toujours si la porte de chez nous a bien été verrouillée. Une question qui peut trotter dans notre tête toute la journée. Est-ce parce que ce geste est automatique qu'on oublie presque systématiquement si on l'a fait ou non ?
C'est un geste machinal et banal
C'est bien ce qu'explique Bernard Croisile dans son livre Tout sur la mémoire (Odile Jacob, 2011). Notre système cognitif n'accorde pas d'attention (ni d'importance) à ce geste parce qu'on le fait tout le temps, machinalement. Notre cerveau ne s'y intéresse pas, tout simplement ! Notre mémoire a des milliers de souvenirs identiques où on sort de chez soi le matin et où on ferme la porte. Elle ne se fixe pas sur ces souvenirs banals, qui s'inscrivent dans une habitude.
Le sociologue Jean-Claude Kaufmann le dit son livre Le cœur à l'ouvrage théorie de l'action ménagère (Armand Colin, 2015) : “L'habitude se fonde sur un geste simple, routinier, anodin ; le type même du geste qui semble sans importance. Entraînée par cette perception de bon sens, la notion apparaît également sans importance.”
L'automatisme n'est pas un geste particulièrement agréable, on le fait car on doit le faire, donc il ne s'ancre pas comme quelque chose de profond dans notre système. “C'est pas vraiment désagréable, mais c'est quand même une tâche, comme on dit”, estime une jeune femme citée par J.C Kaufmann. La sensation est neutre.
Notre mémoire fait un tri hiérarchique de l'information
Notre système cognitif balaie cette situation automatique au profit d'actions qui nécessitent plus d'attention et d'exigence, qui sont plus intéressantes, complexes ou préoccupantes. Ne pas se souvenir si on a fermé sa porte à clé est en réalité une conséquence de nos préoccupations, de notre implication cérébrale dans des tâches cognitives plus fondamentales. En bref, notre cerveau s'en fiche sur l'instant ! Notre cerveau “zappe” beaucoup d'actions routinières car il est sans cesse envahi d'informations. Si on peut trier les déchets, notre mémoire trie aussi ce qu'elle garde et ce qu'elle jette, dans un système de hiérarchie.
Ceci est également dû au fait que l'être humain a tout le temps des choses à improviser, rien (et heureusement) n'est pareil tous les jours, donc la notion de sélection est d'autant plus importante. “D'abord, tout simplement, parce que la vie ordinaire est compliquée. Il n'y a jamais eu, et il n'y aura jamais, deux journées d'une même personne strictement identiques. À chaque instant il faut improviser sur tel ou tel détail, tâtonner, régler les enchaînements. C'est comme dans une valse : bien que les mouvements soient théoriquement fixés, les danseurs ne cessent de les réinventer”, écrit Jean-Claude Kaufmann.
Mais alors, comment faire si on veut se souvenir ?
Pour ne plus se torturer l'esprit, et être sûr d'avoir accompli ce petit geste, il faut fixer son attention visuelle sur la porte pendant quelques secondes, pour stimuler sa mémoire photographique et créer une empreinte que le cerveau pourra ensuite retrouver. On peut faire cela pour beaucoup d'autres situations de la vie quotidienne que notre mémoire considère comme étant anecdotiques. Regarder la plaque pour se souvenir si on a bien éteint le gaz, par exemple. “La mémoire est en grande partie stockée dans les objets, l'ordre des choses qui nous entoure et guide nos mouvements. Ou, plus précisément, dans le rapport de la personne aux choses familières”, confirme Jean-Claude Kaufmann. Vous ne regarderez plus votre porte d'entrée de la même façon.