Laura Girsault - Publié le 9 avril 2019
CHAIR DE POULE - Plancher vermoulu, animaux indésirables, fantômes en balade… le grenier brasse tout un imaginaire sombre. Mais révèle aussi une partie de notre inconscient et de nos peurs enfouies.
C'est une pièce dans laquelle les enfants ont souvent peur de s'aventurer. Pas seulement parce qu'elle est généralement très sombre, sans fenêtres, et que de vieux meubles poussiéreux et de babioles en tout genre s'y entassent.
"Le grenier représente l'inconnu, les petits recoins, nous apprend le psychanalyste Philippe Blazquez. L'enfant s'imagine qu'il peut y avoir des monstres cachés. Le grenier évoque souvent un sentiment d'insécurité."
Une fois adulte, on a beau chercher des solutions pour l'aménager, en faire une pièce presque comme les autres pour gagner quelques mètres carrés, il continue de nous inquiéter. Alors, pourquoi a-t-il si mauvaise réputation ?
Le grenier dans l'imaginaire
Refuges pour âmes troublées et esprits maléfiques, lieu de fantasmes inquiétants pour groupes d'ados se réunissant pour se raconter des histoires d'épouvante, le grenier a logiquement inspiré le cinéma d'horreur. Par exemple, The Attic (George Edwards, 1980) relate l'histoire d'une jeune femme qui découvre que son père a tué son fiancé et son animal de compagnie, et qu'il les a placés dans le grenier. The Man in the Attic (Hugo Fregonese, 1954), met en scène un troublant locataire dont la chambre se situe au grenier, et qu'on désigne comme étant Jack L'Eventreur.
Pire, le grenier est un lieu où se sont passées des choses étranges également dans la réalité. Petit voyage dans le passé : au début du 20ème siècle, Théodore Coneys a vécu plus de neuf mois dans le grenier d'un homme qui ignorait sa présence. Il a fini par croiser son "hôte", et pris de panique, l'a assassiné. Théodore Coneys, surnommé “l'homme araignée de Denver” par la presse de l'époque, a été condamné à la prison à vie.
Plus récemment, Sylvain Lavoie, un homme atteint de troubles sévères de la personnalité, a disparu pendant 12 jours avant d'être retrouvé agonisant dans un grenier, où il se terrait depuis des jours. Sans ses médicaments, le jeune homme souffre de désorientation et de peurs, qui le poussent à se cacher des gens… donc à se réfugier au grenier.
Le grenier comme lieu des souvenirs, de l'inconscient
Mais toutes les peurs associées au grenier ne sont pas forcément rationnelles. Selon Philippe Blazquez, c'est un endroit que l'on associe aux souvenirs dont on ne parvient pas à se débarrasser : l'inconscient freudien. "On ferme à clefs le grenier, on ne veut pas y aller, car c'est une pièce qui regorge de souvenirs. C'est aussi un endroit avec de l'affect car on y entasse tout ce qu'on n'arrive pas à jeter. Mais c'est une pièce où on ne vit pas, qui est extérieure à nous."
Le grenier est ainsi synonyme de souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais. Dans l'inconscient, les souvenirs sont stockés dans une case “passée”. Mais aujourd'hui, tout est utilitaire. "On veut que tout serve, que tout soit productif, c'est l'emprise matérialiste de notre société. Le grenier est en décalage avec ce principe, c'est pourquoi il peut avoir un aspect négatif", ajoute Philippe Blazquez. Est-ce pour cette raison que la tendance est aux combles aménagés, rentables, modernes et confortables, toujours dans cet esprit d'optimisation ?
Un abri pour les rongeurs et les insectes
Ceci étant, même lorsque le grenier est abonné, il n'est jamais totalement inoccupé. Qu'elles soient imaginaires ou bien réelles, les créatures étranges pullulent sous les combles.
Des petits pas pressés vous font sursauter la nuit ? C'est sûrement un rat ou une fouine qui prend ses aises sous votre nez. Le grenier fait souvent écho à la saleté car il est associé aux bestioles considérées comme repoussantes, qu'elles soient rampantes ou volantes : araignées aux pattes velues, hiboux, chauves-souris, rongeurs... En l'absence des humains, les animaux en profitent pour s'installer.
Après tout, les greniers leur ont toujours appartenu. Autrefois, on entreposait souvent de la nourriture sous les combles : le mot grenier vient d'ailleurs du latin granarium (grain). Le rat se sert donc dans les récoltes du grenier. Et qui dit rat, dit chouettes et hiboux venus déguster leur déjeuner, ou quand le grenier accueille toute la chaîne alimentaire animale.
Et ses aspects positifs alors ?
Tout n'est pas non plus si sombre au grenier. "Comme il est au-dessous de nous, il a une fonction de protection quasi mystique (le toit sur la tête) contrairement à la cave, qui représente les ténèbres, les enfers (puisqu'au fond), et qu'on associe au diable", explique Philippe Blazquez.
Le mot “grenier” peut également avoir un sens positif : par exemple, le label "Light in the Attic" réédite des disques oubliés, rares et anciens, et en cela fait sortir de l'oubli des oeuvres et des artistes. Ici, le grenier est pris en tant que symbole positif, un trésor de richesses enfouies.
On ne sait pas si les greniers existeront encore dans 50 ou 100 ans, mais il faut espérer quand même qu'il y aura toujours un endroit dans la maison où nous pourrons stocker nos souvenirs. Ainsi, même si le grenier vous inspire parfois des terreurs nocturnes, prenez-en soin, car c'est aussi prendre soin de ses souvenirs qui représentent un puzzle de votre vie ou de votre famille.