Adèle Ponticelli - Publié le 10 novembre 2017
ENTRETIEN - La romancière et journaliste vient de publier “Libérées !”, livre dans lequel elle analyse les sources des inégalités dans le partage des tâches ménagères et avance des solutions.
C'est un livre que vous allez vouloir offrir à tour de bras. À des femmes d'abord, évidemment, puis des hommes, des ami-es, des parent-es... Car il va faire du bien à tout le monde.
La romancière, blogueuse et journaliste Titiou Lecoq vient de publier Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, aux éditions Fayard. Un ouvrage qui déculpabilise et éclaire remarquablement nos habitudes quotidiennes.
Pas donneuse de leçons pour un sou, Titiou Lecoq dresse avec sa plume mordante une analyse étayée du partage des tâches et des origines de ses inégalités. Tout en glissant des témoignages drôles et sincères, elle propose des solutions pour plus d'égalité au sein du couple.
Virginia Woolf avait montré qu'il fallait aux femmes “une chambre à soi”, Titiou Lecoq démontre qu'il leur faut aussi “un temps à soi”. Entretien.
Pour vous le partage des tâches n'était pas une question importante. Puis, à un moment, ça explose, il y a cette confrontation avec une chaussette gisante à côté du bac à linge sale...
Cette chaussette et deux bébés... Car la parentalité démultiplie les tâches ménagères. Cela se produit à “bébé 2”, comme on dit sur doctissimo, plus 6 mois. Ce n'était pas le burn-out, mais la crise de nerfs.
Une impression un peu lancinante que ma maison, que j'adore, est en train de me manger petit à petit. Jusqu'au moment où je me suis vue passer un temps dingue à essayer d'organiser et la maison et la vie familiale. Et là, je me suis dit « ce n'est pas du tout ce que j'imaginais pour ma vie ».
Pourquoi la chaussette est devenue le symbole de cette crise ?
C'est venu d'un constat concret, je vis avec trois personnes, deux enfants et un adulte, qui laissent traîner leurs chaussettes. Et moi, j'ai toujours eu ce truc d'enlever mes chaussettes et de les jeter comme ça chez moi (elle mime ce geste de la main désinvolte). C'était un vrai plaisir ! Je le faisais, mais quand je vivais seule.
Cette chaussette marque donc aussi un changement qui s'est opéré chez vous quand vous avez emménagé avec quelqu'un, changement qui ne s'est pas produit chez votre compagnon...
Oui, d'autant que j'étais plutôt très bordélique. Mais je suis aussi pragmatique. À un moment, on ne peut pas être tous bordéliques et vivre ensemble, cela ne fonctionne pas. Donc j'ai essayé de grandir, de me comporter comme une adulte et de ranger un peu. Mais je me suis rendu compte que ce n'était pas juste grandir, je me transformais en ménagère qui faisait le ménage pour tout le monde.
C'est face à cette habitude de laisser trainer des trucs que j'ai commencé à y réfléchir. Ça veut dire quoi vivre ensemble ? C'est hyper intéressant : on se choisit un espace pour vivre ensemble, mais quelles sont nos règles pour vivre ensemble ? Nous, on avait parlé d'éducation, des règles avec les enfants, de la tablette, des dessins animés, tout ça... Mais on n'a pas parlé de comment on vit ensemble avec les exigences de propreté, avec la saleté de l'autre.
Cela fait partie des solutions que vous avancez : on se rassemble tout-es autour d'une table et on définit des règles.
Il faut établir une sorte de règlement. Dans l'idéal, au moment où on emménage ensemble, mais on est pris dans une histoire d'amour, on n'a pas du tout envie de parler de ménage.
Ce n'est donc pas dire “il faut que la maison soit impeccable” mais négocier à deux, entre les normes les plus hautes et les plus basses. Pour définir un idéal ensemble. C'est pour ça que je ne suis pas dans le truc de dire “ah les méchants hommes qui font rien”, c'est plus complexe.
Il faudrait par exemple dire aux mères, qu'elles ne sont pas en train de ne pas aimer leurs enfants si elles ne passent pas un coup d'éponge sur la table...
Cela a l'air bête, mais c'est difficile. On apprend beaucoup plus aux filles à se préoccuper des autres. Ce n'est pas quelque chose de négatif, mais cela prend une telle place que, surtout quand on devient mère, ça se transforme en “faut que je me sacrifie”, alors qu'il ne faut pas se sacrifier. Il faut donc aussi apprendre aux petits garçons à faire aussi attention aux autres. Cela passe selon moi par la prise en compte de leurs émotions.
Quand on est mère, on a dans l'idée qu'il faut offrir le meilleur à nos enfants, que le meilleur, c'est la maison la plus belle possible. Mais, le meilleur, c'est une maman qui va bien. Se mettre trop d'obligations, ça fait péter un plomb. Ce n'est pas grave si la chambre n'est pas impeccable et que le mur pastel est un peu dégueulasse.
Pour un partage des tâches plus égales, vous pointez aussi l'importance de la prise de conscience des inégalités réelles.
Les études montrent un écart entre la vision qu'on a de l'accomplissement des tâches et ce qui se passe réellement. Quand les femmes font deux tiers et les hommes un tiers du ménage, c'est perçu par les deux comme un partage juste. Si on dépasse ce différentiel-là, ce n'est plus acceptable et ça pose des problèmes de couple. C'est ce qu'on appelle une inégalité supportable, mais c'est toujours de l'inégalité.
Donc, un des premiers trucs à faire, c'est de quantifier ce que chacun fait et combien de temps ça prend, parce que si on fait une tâche qui prend 5 minutes et une autre qui en prend 30, évidemment ce n'est pas la même chose.
Il n'est pas question de dire du mal de l'autre, mais de se dire qu'on pourrait se réorganiser pour que ce soit plus juste et qu'on ait chacun du temps pour soi.
Parce qu'on pourrait se dire que si les femmes en font plus c'est qu'elles ont plus de temps, mais vous montrez que ce n'est pas le cas. Les femmes travaillent plus (tout travail confondu) et perdent en temps de loisir.
C'est un des trucs qui m'a le plus étonné en travaillant sur le sujet. On a cette image de l'homme fatigué qui travaille beaucoup et tard, image qu'on retrouve dans les médias, le cinéma, les séries...
Or, si on prend les statistiques en France, les hommes ont 3h30 de loisirs de plus par semaine que les femmes. Donc s'il y a du temps à trouver, il y en a plus à trouver dans l'emploi du temps d'un homme que d'une femme.
Autre point que montrent les statistiques, c'est que c'est la personne qui gagne le plus d'argent qui en fait le moins à la maison. Dans les couples que j'ai trouvés où c'est l'homme qui s'investit le plus dans la maison, il gagne moins que sa compagne. Donc il y a un « rapport de pouvoir » qui est très très tabou au sein du couple. Et celui qui gagne moins se sent coupable alors il se dit, il faut que j'en fasse plus pour compenser.
Il n'y a pas que la quantité de tâches ménagères qui varie entre les hommes et les femmes, mais aussi leur nature.
Les hommes ont plutôt un ménage curatif et les femmes un ménage préventif. Or, quand on est dans le curatif, on fait le ménage moins souvent. Les femmes font avant que ce soit vraiment sale, donc plus régulièrement.
Et quand une tâche est autant détestée par les deux membres du couple, ce sont les femmes qui s'en occupent. Les femmes font un travail plus ingrat.
Les hommes vont faire plutôt des tâches qui se remarquent : bricolage (l'objet reste), jardin, les courses, la cuisine quand le couple reçoit... Donc une tâche où ils auront une reconnaissance sociale. Alors que trier le linge, personne ne te remercie pour ça, les gens pensent que ça s'est fait tout seul !
Est-ce que faire appelle à une aide ménagère peut être une solution pour une meilleure répartition des tâches ?
Quand on demande au couple : qui a trouvé la femme de ménage, qui s'occupe de la payer, de lui laisser les clés... c'est toujours la femme dans le couple. Donc elle a toujours la charge mentale, de ces tâches.
D'autant que, très souvent, ce sont les femmes qui rangent la maison avant que la femme de ménage n'arrive. Donc cela n'induit pas fondamentalement plus d'égalité dans le couple. Cela peut même diminuer l'égalité, car certains hommes peuvent en faire encore moins en disant, ça va, la femme de ménage pourra le faire. Et puis, l'aide ménagère est souvent une femme.
Vous dites carrément "les hommes habitent chez les femmes" !
Oui, j'en suis assez convaincue. Évidemment, il y a des cas inverses. Mais souvent cette répartition où la carrière de l'un passe en priorité, cela veut dire que la maison, c'est la maison de l'autre.
Pour plus d'égalité dans la maison, cela veut dire aussi que les femmes doivent abandonner des prérogatives sur cet espace. Souvent, on entend ces histoires où le mec veut ajouter une décoration, il se voit répondre, “ah bah non, tu ne vas pas mettre ça, c'est moche, ça ne va pas avec le reste”. Mais c'est ça aussi vivre ensemble !
Donc la déco rentrerait dans ces négociations autour de la table ?
Oui ! Car cela fonctionne ensemble, en général celui qui s'occupe de la décoration s'occupe des tâches ménagères. C'est le principe de la reine-servante pour les femmes. Négocier, ce n'est pas seulement demander aux hommes de faire plus de tâches ménagères, mais aussi de prendre leur espace.