Emmanuel Chirache - Publié le 1 juillet 2021
APICULTEUR NOT HAPPY - Florent Caullireau se bat pour ses ruches, mais au-delà de son cas personnel, pour la sauvegarde de terres arables vieilles de centaines d'années.
"C'est un gaspillage incompréhensible ! s'insurge Forent Caullireau, un apiculteur savoyard en colère depuis qu'on a exproprié ses ruches d'un terrain fertile en biodiversité. Ici, on est en fond de vallée de l'Arc, au bas de la Maurienne : toute la richesse de la région s'est déposée là. La terre est cultivée depuis des générations, on a parfois jusqu'à un mètre de terre arable [cultivable, ndlr] !" Située entre les montagnes et proche de la nappe phréatique de l'Arc, un affluent de l'Isère, cette parcelle de 35 hectares permettait jusqu'ici aux agriculteurs de cultiver des céréales, du foin, du maïs et autres plantes, sans craindre la sècheresse. C'est bien simple, l'endroit est si riche qu'il peut piéger une tonne de CO2 par hectare et par année !
Seulement voilà, sa bonne tenue fait aussi des envieux. "C'est plat, bien drainé, donc c'est facilement aménageable pour des projets immobiliers, regrette Florent. Et puis ce sont de grandes parcelles avec peu de propriétaires, ce qui facilite le travail quand on veut les convaincre de céder leurs terrains." Bref, les terres ont fini par être achetées puis rétrocédées au syndicat mixte de l'Isère et de l'Arc en Combe de Savoie (SISARC) afin d'étendre la zone d'activités de l'Alp'arc autour du lac de Barouchat. 26 grandes entreprises, voire davantage, pourront s'y installer très bientôt.
Une pétition lancée par la militante écologiste Camille Etienne
Mais Florent résiste, même si on lui laisse une concession d'usage précaire, en attendant qu'il trouve un nouvel emplacement : "Je pourrais négocier un toit d'immeuble ou un rond-point pour installer mes ruches, mais mes abeilles ont besoin de ces terres agricoles ! J'y trouve de la ressource comme nulle part ailleurs." Cela fait dix ans que l'apiculteur transhume ses 250 ruches un peu partout en Savoie, il ne craint ni les coups durs ni les aléas, mais pour cet homme de 42 ans, le mal est plus profond.
Au-delà de son cas personnel, il lutte pour sauvegarder la biodiversité d'un site exceptionnel dans un contexte d'effondrement écologique. Seul face à un rouleau compresseur, Florent a reçu l'aide inespéré de la jeune militante écologiste Camille Etienne, qui vient de la même région. Grâce à elle, une pétition a été lancée sur Change.org, et des actions de sensibilisation ont été menées auprès de médias, d'avocats, de maires et d'associations.
"Notre but c'est que le syndicat mixte prenne conscience de l'impact, nous confie Florent. Ces travaux de bétonisation vont toucher nos ressources en eau, notre énergie, notre piège à carbone local… Tous ces bénéfices ne sont pas compensés par de l'emploi, d'autant moins que ces grosses entreprises attirent des cadres qui n'iront pas s'installer dans les villages du coin, mais dans les grandes villes." Le combat ne fait peut-être que commencer...