Lisa Hör - Publié le 22 décembre 2015
PATRIMOINE - Anne et sa famille vivent dans ce phare normand depuis toujours, ou presque. Il ne guide plus les bateaux, mais a gardé toute son aura.
Vivre dans un phare... cela évoque un îlot solitaire et rocheux, battu par les vagues d'une mer déchaînée. Le phare de Fatouville-Grestain, dans l'Eure, lui, s'élève au-dessus d'une campagne on ne peut plus paisible. Il n'en est pas moins un phare maritime.
La côte est à deux kilomètres. "On s'imagine toujours un phare en pleine mer, mais ils ne sont que 5% à ne pas se trouver dans les terres", s'exclame la propriétaire des lieux, Anne Durand, 57 ans.
Avec son mari, et le troisième de ses enfants encore étudiant, elle habite toute l'année dans la grande maison qui s'étale au pied du phare. Elle n'affronte pas les tempêtes, mais la vie n'y est pas moins intense.
Un héritage familial
Le phare est dans la famille depuis 1923. Cette année-là, l'Etat n'a pas assez d'argent pour électrifier tous ses sémaphores. Alors celui de Fatouville-Grestain est fermé et vendu aux enchères.
C'est l'arrière-grand-père de Anne qui l'acquiert, pour 35 000 anciens francs. Un “coup de foudre”, pour lequel il vend un restaurant, un hôtel et s'endette sur dix ans.
Enfant, Anne y a passé toutes ses vacances, et depuis 27 ans, elle ne le quitte plus. Elle connaît par coeur le paysage qui s'étale sous ses yeux, une fois gravis les 132 mètres de la tour.
"On domine l'estuaire et la mer, détaille-t-elle. On peut voir le Pont de Normandie, la Seine, Honfleur et le Havre."
Le phare a bien servi de guide aux marins, de 1850 à 1907. Trois gardiens se relayaient dans la salle de veille, dans la tour. Depuis, la lanterne, alimentée avec de l'essence à colza et de l'huile de baleine, a disparu.
Entretenir la flamme
Mais le reste du bâtiment n'a pas bougé, jusqu'à la coupole, d'origine. Cela lui vaut d'être le seul phare de Normandie classé comme bâtiment historique, depuis 2011. Cette reconnaissance devrait amener quelques subventions pour les restaurations nécessaires.
Une aide bienvenue, quand le remplacement de quelques pierres et de notamment de l'un des corbeaux (les pierres saillantes, sous la coupole), a coûté 55 000 euros, il y a quelques années.
Pour financer en partie cet entretien, Anne accueille les visiteurs, dans plusieurs chambres d'hôtes, d'avril à novembre. Pas question de dormir en haut du phare, où il n'y a pas la place, ni le confort ! Mais le petit-déjeuner se prend au pied de la tour, qui coupe la maison en son milieu.
Quant à ceux qui y prendraient goût et voudraient se lancer dans l'aventure, on trouve parfois des phares à vendre. "Surtout en Écosse", précise l'heureuse propriétaire, qui pourtant ne recommande pas cet investissement. "C'est trop lourd", lâche-t-elle, dans un éclat de rire. "Il faut vraiment y croire."
Elle, y croît, portée par l'amour de cette maison familiale. Et Anne ne s'inquiète pas pour l'avenir du phare. Ses enfants reprendront le flambeau et continueront, c'est certain, de faire vivre ce phare familial, entre terre et mer.