Matthieu M. - Publié le 10 mars 2020
ECOLO - L'association la Fumainerie souhaite mettre un terme au gaspillage de l'eau potable et milite pour limiter la pollution des eaux usées.
Quand on pense toilettes sèches, on imagine une petite cabane en bois au fond d'un jardin fleuri. En revanche, rares sont celles et ceux qui les visualisent en pleine ville, dans un appartement.
C'est pourtant la mission que s'est fixée l'association Fumainerie : créer un réseau de toilettes sèches dans des logements bordelais. Pendant deux ans, l'association va expérimenter auprès d'un réseau de 35 volontaires ces toilettes écologiques qui ne consomment pas d'eau.
3 à 6 litres d'eau potable à chaque fois que l'on tire la chasse
C'est avant tout une démarche écologique qui motive les membres de l'association. L'objectif ? Réduire la consommation d'eau potable. “Je trouvais ça absurde de faire caca dans l'eau potable”, souligne Ambre Diazabakana, membre bénévole de la Fumainerie. Les toilettes sèches sont une solution face à ce gaspillage, puisque nous utilisons en moyenne 3 à 6 litres d'eau à chaque fois que nous tirons la chasse.
À l'inverse, les toilettes classiques et leur système du tout à l'égout polluent. Les eaux sont usées à cause de nos excréments, “qui sont seulement partiellement récupérés par les stations d'épuration et finissent dans le milieu aquatique”, indique la bénévole. Le problème c'est que les nutriments non assimilés par notre corps (azote, potassium) se retrouvent dans le milieu aquatique et favorisent le développement de végétaux, les tristement célèbres algues vertes qui déséquilibrent le milieu naturel.
Mais ce n'est pas tout ! Les résidus médicamenteux et les hormones finissent aussi dans les cours d'eau et peuvent entraîner une surpopulation de poissons masculins ou féminins en fonction des hormones présentes à ce moment-là.
Faire changer les mentalités et convaincre les collectivités
Avant que les toilettes sèches investissent les foyers, il va falloir changer les mentalités et cela, la Fumainerie l'a bien compris. “Quand on parle pipi caca ça fait rire, on est pas trop pris au sérieux”, rappelle Ambre Diazabakana. Un rituel que nous faisons pourtant toutes et tous mais que l'on a tendance à nier.
“Aujourd'hui, on a juste à appuyer sur un bouton et le déchet part très loin. On veut faire comprendre qu'on a une responsabilité et ne pas oublier qu'il existe”, précise-t-elle. Car au-delà de leur aspect peu ragoûtant, les excréments comme l'urine sont des ressources précieuses. Comme nous l'avait déjà expliqué l'ingénieur Renaud de Looze dans son ouvrage, L'urine de l'or liquide au jardin (Ed. Terran), l'urine comme la matière fécale contiennent les éléments nutritifs indispensables à la production de plante comme l'azote, le potassium ou le phosphore. Une fois transformés en compost évidemment !
Mais si l'association souhaite étendre le dispositif à grande échelle, il n'y a pas que les particuliers qu'il faut convaincre, les collectivités aussi. “On veut proposer un cadre qui soit faisable techniquement mais aussi sécurisant pour les populations. On limite ainsi les risques de transmissions pathogènes et les gênes olfactives”, s'engage la bordelaise.
“On va assurer l'installation, la collecte. On accompagne la valorisation et la promotion de l'assainissement auprès des particuliers et des collectivités”, nous explique Ambre Diazabakana. Bien que la réglementation autorise à avoir des toilettes sèches en ville comme à la campagne, la loi impose que les personnes “compostent les matières sur place ou dans la parcelle où elles habitent”, indique-t-elle. Quand on a un jardin, l'opération est facile à mettre en œuvre, mais quand on habite en immeuble, ce n'est pas la même affaire puisqu'il faut convaincre le syndic et les habitants.
De l'installation chez les particuliers à la transformation en compost
Comment va se passer l'expérimentation concrètement ? La Fumainerie va venir chez les particuliers pour installer les toilettes sèches les plus adaptées aux besoins du foyer. Trois systèmes différents vont être testés. Parmi eux, un système dit de séparation “qui sépare les matières à la source, pour faciliter le séchage des matières fécales”, indique Ambre. Mais aussi un système “high-tech” avec une pédale ou même un ventilateur.
L'installation est un jeu d'enfant : “On bouche le système d'évacuation avec un bouchon, on ferme le conduit de la chasse d'eau. On tire ensuite les toilettes qui, souvent, ne sont pas vissées au sol, et on pose les toilettes sèches”, détaille-t-elle. Les bénévoles passeront ensuite une à deux fois par semaine au domicile des particuliers pour collecter la matière. Les excréments et l'urine seront transportés par vélo cargo jusqu'à un site de stockage à Mérignac. “Puis on va travailler avec un valorisateur qui transformera les matières fécales en compost, et l'urine en fertilisant organique”, nous raconte Ambre Diazabakana.
L'expérimentation est gratuite et les volontaires peuvent revenir sur leur décision tous les six mois. “On va tester le consentement à payer. Ce sont les volontaires qui vont eux même fixer un montant qu'ils jugent acceptable pour bénéficier du service : zéro, un ou quinze euros par passage”, explique-t-elle. Les toilettes sèches ne représentent par ailleurs pas une grosse économie en raison du prix peu élevé de l'eau potable en France. “Un foyer n'économise que trente euros par an”, souligne cette ingénieure agronome.
“J'ai l'impression de vivre une nouvelle aventure”
Et quid de l'odeur ? Quand les toilettes sèches sont au fond du jardin, passe encore, mais lorsqu'elle est stockée dans la pièce d'un appartement, qu'en-est-il ? “Ce n'est pas une odeur de caca comme on le craint. C'est une odeur de compost, un mélange de sciure et de sous bois”, rassure-t-elle. Ça ne pue pas mais ça sent (jetez un oeil aux bonnes pratiques pour éviter que les toilettes sèches sentent mauvais).
La trentenaire qui a installé des toilettes sèches ainsi qu'un composteur dans son jardin, il y a maintenant huit mois, ne regrette pas d'avoir sauté le pas. “J'ai l'impression de vivre une nouvelle aventure au quotidien. Je gère seule les matières mais aussi les accidents, les débordements. C'est d'ailleurs cela qu'on veut éviter, que les volontaires aient à gérer des incidents désagréables”, raconte-t-elle. Malgré cela, sa vie à la maison n'a pas beaucoup changé. “Ça me demande 10 minutes de vidange tous les 15 jours”, dit-elle.
Pour le moment, l'association recrute 35 personnes parmi les 200 personnes qui se sont portées volontaires pour expérimenter les toilettes sèches à la maison à partir de mai. Rendez-vous dans deux ans pour le bilan de l'opération ! Une initiative qui rappelle celle des habitants d'une résidence bretonne qui ont équipé les 23 logements de toilettes sèches.