Lisa Hör - Publié le 26 février 2020
ANTI-GASPI - Les recettes de grand-mères reviennent en force. Elles nous ont aussi appris à ne rien jeter de ce qui pouvait resservir. À quel point étaient-elles précurseuses ?
La grand-mère de Florence est née en 1908. Elle a eu 10 enfants. Elle a traversé les deux guerres, et elle est morte à 105 ans. Et durant toute cette vie bien remplie, elle a toujours veillé à ne rien gaspiller.
“Quand j'étais petite, elle nous disait de garder les bouts de ficelles, le bolduc des sachets de bonbons. Il n'y avait pas de sacs en plastique, pour emballer quelque chose, on utilisait un sac en papier que l'on avait gardé de la boulangerie et on refermait avec une ficelle, raconte sa petite-fille, 55 ans aujourd'hui. Quand on recevait un courrier, on ouvrait proprement son enveloppe et ça faisait un bout de papier à récupérer. Personne n'achetait de bloc-note.”
Cette habitude de garder ce qui peut resservir, Florence en a hérité, même si elle ne va pas aussi loin. Pendant longtemps, c'était un réflexe. Face aux enjeux écologiques actuels, elle le fait de manière un peu plus consciente.
À l'heure où le zéro déchet - le mouvement de ceux et celles qui cherchent à réduire le volume de leur poubelle - s'impose comme une tendance durable, on redécouvre d'un autre œil le bons sens des anciens.
Alors, devrions-nous nous inspirer de nos grands-parents, et plus particulièrement nos grand-mères, en charge de la vie à la maison ?
Tout le monde a sa petite astuce de grand-mère
“Laver la salle de bains avec du bicarbonate de soude et du vinaigre blanc, c'est ce que faisait ma grand-mère.”. Ce genre de remarques Pauline Debrabandere, chargée de projets de l'association Zero Waste France, l'entend systématiquement, dès qu'elle aborde la question du ménage écolo. Souvent de la part de personnes réceptives. Mais l'argument est aussi utilisé par ceux et celles qui voient dans le zéro déchet un “retour à la bougie” et veulent dénoncer le manque de confort qu'il entraînerait.
“Nous, on préfère mettre le côté positif en avant : ça parle au grand public, ça fait partie de la culture populaire et partagée. Chacun peut ajouter ses propres astuces de grand-mère, il y a un côté participatif qui plaît”, explique Pauline Debrabandere.
Et puis, ces fameuses astuces de grand-mère n'ont que des avantages. Elles permettent d'utiliser moins de produits emballés, de Prendre soin de sa santé (les produits d'entretien industriels polluent l'air intérieur des maisons) et de faire des économies. On achète peu de produits et on réutilise au maximum (le marc de café pour fortifier ses plantes par exemple).
Nos grand-mères avaient-elles tout cela en tête ? Pas forcément. Sauf peut-être pour les économies, parce qu'elles ont vécu des périodes de privation qui les ont marquées.
Compter chaque centime d'ancien franc
Pour Florence, c'est une évidence. C'est pendant la Seconde Guerre Mondiale que sa grand-mère a pris l'habitude de ne rien gâcher : “Elle a écrit un livre pour la famille, à la machine à écrire. Elle y raconte comment ils se débrouillaient pour manger pendant l'exode. Elle et son mari n'étaient pas du tout dans le besoin après la guerre, mais le fait d'avoir vécu ça, ça lui a appris à faire attention à tout.”
Pierre, 35 ans, a un souvenir semblable de ses grand-parents. Eux ont fui la guerre civile en Espagne et se sont réfugiés dans le sud de la France : “Ils ne roulaient pas sur l'or. Chaque centime d'ancien franc était compté, ils avaient deux enfants à nourrir et il fallait faire attention. Chaque ressource était réutilisée jusqu'au bout.”
Encore maintenant, son grand-père a gardé les mêmes réflexes. Certes, il achète son jambon sous-vide, parce que c'est moins cher, mais il réutilise cet emballage en plastique autant qu'il le peut. “Il nettoie et il réutilise les barquettes. Il les suspend dans son figuier pour effrayer les merles, il les fixe en haut des piquets de tomates pour les protéger de la grêle, ou il les utilise comme plateaux à fromage dans son frigo”, raconte Pierre avec tendresse.
Avoir le sens de la terre
Le grand-père de Pierre reçoit le minimum vieillesse, il continue donc à faire des économies comme il le peut. Pour son petit-fils, cela s'explique aussi parce qu'il a été ouvrier agricole toute sa vie et qu'il a “un sens de la terre”. Parlait-il d'écologie avec ses grands-parents ? “Il y avait des décharges sauvages dans l'Aude, et ça ne leur plaisait pas. Ils étaient conscients parce qu'ils voyaient très concrètement l'impact à petite échelle”, se souvient-il.
Pour Florence, en revanche, sa grand-mère était écolo sans le savoir, parce qu'elle n'avait pas le choix et devait faire des économies. “Nous, c'est l'inverse, c'est très tendance d'être écolo, et du coup on découvre que l'on peut faire des économies comme ça !”, remarque-t-elle.
D'ailleurs, un mode de vie proche de la terre n'est pas forcément zéro déchet, comme en témoigne Sarah, 25 ans. Sa grand-mère et son “beau-grand-père” partagent leur temps entre un chalet dans les Vosges et un autre dans les Pyrénées. Ils vivent en autosuffisance, autant que possible sur de nombreux points : Jean-Louis a construit les chalets lui-même, il s'occupe du potager, chasse et fait son alcool de mirabelle. Ginette interdit à ses petits-enfants de ne pas finir leur assiette, récupère les serviettes et les mouchoirs en papier pour alimenter le poêle à bois.
Mais quand Sarah lui a fait part de son envie de recevoir une cafetière à l'italienne pour Noël, Ginette lui a répondu en haussant les épaules que les capsules Nespresso, c'était quand même meilleur et plus pratique. Comme quoi, on peut bien trier ses poubelles, et continuer à préférer la facilité par ailleurs, quitte à faire plus de déchets !
Les astuces de grand-mère sont une première étape
Comment s'inspirer de nos grand-parents aujourd'hui ? Comment aller plus loin ? Florence aimerait acheter moins d'emballages, mais après avoir expérimenté les courses chez l'épicier et les petits producteurs pendant un temps, elle a constaté que cela lui coûtait plus cher qu'au supermarché. Et pour trouver certains produits en vrac, elle doit faire plusieurs magasins.
C'est pour pallier ces problèmes que Pierre a créé avec sa compagne le premier drive zéro déchet en France. Au Drive Tout Nu, on commande sur Internet et on vient chercher ses achats en voiture, comme dans un drive de supermarché. Sauf que tout est préparé sans emballage, bio et local au maximum. Depuis, cette initiative a fait des petits dans toute la France.
Est-ce le signe que nous sommes prêt-es à changer de mode de consommation ?
Pour Pauline Debrabandere, de Zero Waste France, il est en tout cas nécessaire d'aller au-delà des astuces de grand-mère. C'est seulement un bon début : “Il y a aussi un aspect collectif et politique qu'il ne faut pas oublier. Le traitement de nos déchets, c'est quelque chose de complexe avec des enjeux économiques.”
Le succès du défi Rien de neuf, lancé par l'association, est déjà un indicateur encourageant. 36 000 personnes se sont engagées en 2019 à n'acheter que des biens d'occasion, à réparer ou à fabriquer eux-mêmes.
Et les nouveaux convertis au DIY ne sont pas toujours ceux auxquels on pense ! À l'image de la deuxième grand-mère de Sarah, Mauricette. “Elle ne jurait que par l'eau de Javel. Depuis que je lui ai partagé des articles qui expliquent que ce n'est pas bon, elle est revenue au vinaigre blanc. Alors que tu sentais que c'était la génération qui était contente d'utiliser des produits hyper efficaces”, raconte-t-elle. À tel point que Mauricette s'amuse à présent à faire sa lessive elle-même et à mettre son marc de café de côté, pour ses plantes.