Eva Yoro - Publié le 6 juillet 2023
JETER ? MOI NON PLUS - Depuis 6 mois, Sylvia et Estelle se sont lancées dans l'expérience proposée par le “Défi Famille Zéro Déchet”. Appréhensions, victoires, difficultés, l'heure est au bilan.
Elles sont 80 familles à avoir participé au Défi Famille Zéro Déchet porté par le Pays du Mans. Parmi elles, Sylvia et Estelle, toutes deux mères de famille, se sont prêtées au jeu. Depuis janvier 2023, quotidien, rythme de vie, achats sont tournés vers un objectif : la réduction des déchets. Une démarche qu'elles ont toutes les deux eu le temps de mûrir, notamment au cours de ces dernières années. “A la maison, je suis peut-être celle dont la réflexion est la plus avancée, explique Estelle, qui partage cette expérience avec son mari, ainsi que ses deux filles, âgées de 10 et 12 ans. Je trouvais ça intéressant de pouvoir nous inscrire tous les quatre et de réfléchir tous ensemble. Au-delà des déchets qu'on doit peser dans le cadre du défi, c'est une bonne occasion de mener une réflexion de fond sur notre façon de vivre et de consommer”.
L'aventure du zéro déchet a en réalité commencé pendant le confinement, un contexte inédit qui a permis à Estelle de “mettre des choses en place”. Le vrac, pour réduire une grosse partie des emballages mais aussi la réalisation de produits ménagers maison, à base de vinaigre blanc qu'elle achète en gros formats et qui lui permettent “d'avoir ce qu'il faut sur l'année” puis qu'elle finit par recycler pour réaliser des mini-serres dans son jardin, “assez pratiques pour les plants de tomates notamment”, nous dit-elle.
Moins de grandes surfaces, plus de petits producteurs et de vrac
Finalement, l'un des enjeux majeurs du défi a été de parvenir à faire de vrais progrès, d'aller encore plus loin dans cette démarche du zéro déchet, alors que celle-ci a déjà bien été amorcée. Une volonté également exprimée par Sylvia, mariée et mère de trois enfants, âgés de 14, 11 et 7 ans. Pour elle, le déclic a eu lieu il y a deux ou trois ans, alors qu'elle suivait une formation en santé environnementale pour devenir animatrice d'estime.
“Je mène des ateliers auprès de futures mamans qui vont accoucher à l'hôpital. On leur montre tout ce qu'il y a comme pollution intérieure à la maison et puis on leur donne des solutions alternatives. Ça m'a vraiment ouvert les yeux sur les risques de toute cette pollution qu'on a autour de nous et notamment les déchets. J'ai donc déjà commencé à travailler là-dessus moi aussi. Cela fait deux ans qu'on avait changé pas mal de choses mais je me suis dit que ce défi pouvait encore nous aider, surtout faire participer toute la famille”, explique-t-elle.
L'expérience du zéro déchet s'est d'abord concentrée autour du tri des déchets bien sûr, de la gestion du compost qui permet notamment de recycler toutes les épluchures, de l'achat de serviettes hygiéniques lavables mais également de l'alimentation. Moins de grandes surfaces, plus de petits producteurs et de vrac, “ça s'arrêtait là à peu près”, précise-t-elle.
Le poids des déchets : un élément de référence primordial
Pour ces familles qui ont déjà entrepris un changement de mode de vie plus respectueux de l'environnement, la pesée des poubelles - étape clé du défi zéro déchet qui a lieu régulièrement au cours des six mois - est très importante. Elle constitue en effet un point de départ, un référent, un moyen de chiffrer les déchets du quotidien et de les projeter concrètement dans un objectif de réduction. La poubelle de déchets ménagers d'Estelle et de sa petite famille représentait un kilo tous les 15 jours voire une fois par mois au début du défi, un poids déjà bien en deçà de la moyenne française qui se situe autour des 4,88 kilos par semaine.
Epluchures, cartons, rouleaux de papier toilette, quand ce n'est pas le composteur qui se charge d'alléger le poids des ordures ménagères, l'abaissant parfois à 600 grammes toutes les deux semaines, le chien et les poules qui cohabitent sur leur terrain “permettent vraiment d'éliminer tous les déchets alimentaires”.
Quant aux poubelles de Sylvia, le défi a permis de baisser leur poids de façon considérable. Alors que celle des ordures ménagères est passée de 10 kilos à 8,5 kilos (la litière du cochon d'Inde finit désormais dans le compost, ce que Sylvia a appris lors d'un atelier délivré dans le cadre du défi), le poids des emballages recyclés a été réduit de plus de moitié, passant de 4,8 à 2,2 kilos.
De nouveaux réflexes pour la famille
Une victoire pour cette jeune maman qui a conscience qu'il s'agissait du plus gros challenge en se lançant dans ce défi. “Tous les emballages pour les petits déj' ou les goûters des enfants, c'est une catastrophe. Et comme j'ai appris aussi en santé environnementale que de toute façon, c'était bourré de sucres, de sels, de colorants et de conservateurs, je me suis dit que c'était ça qu'il fallait qu'on travaille”.
Si elle aimait déjà cuisiner maison, la mère de famille exclut aujourd'hui l'achat de gâteaux industriels et partage courses et cuisine avec ses enfants. “Ils aiment cuisiner tous les trois, donc je les inclus quand je prépare des yaourts ou des cookies. Ils peuvent aussi se rendre compte de ce qu'on achète, de pourquoi on l'achète et comment on peut le cuisiner, se réjouit-elle. Par contre, c'est un temps monstrueux. Moi, je peux le faire parce que j'ai deux jours de repos mais ce sont deux jours de cuisine…”.
Se consacrer pleinement au zéro déchet peut en effet être très chronophage, c'est du moins ce que souligne Estelle qui, malgré les préparations maison qui ont remplacé les yaourts et certains biscuits industriels, ne se voit pas éliminer complètement les paquets de gâteaux des enfants. “Même si on fait plus de biscuits maison, on n'y pense pas toujours et on ne peut pas y consacrer tous nos dimanches matins”, regrette-elle.
Du rififi au rayon poissonnerie
Autre difficulté à laquelle le zéro déchet peut parfois se heurter : la coopération du personnel en grandes surfaces. “Mon mari est celui qui fait surtout les courses à la maison et le pas qu'il a du mal à faire encore, c'est celui d'amener nos contenants pour acheter de la viande ou du poisson et éviter ainsi les emballages. Les commerçants ne sont pas toujours très réceptifs, alors on se tourne plutôt vers les petits producteurs”, explique la mère de famille.
Même son de cloche du côté de Sylvia qui a vécu des expériences contrastées. Accompagnée de ses enfants, elle se dirige une première fois au rayon poissonnerie d'un magasin Auchan avec son plat. Le vendeur n'y voit aucun problème et lui tend naturellement son poisson, en précisant que la démarche du zéro déchet s'inscrit désormais dans les valeurs défendues par l'enseigne.
La fois suivante, c'est tout sourire que la jeune maman tente de renouveler l'expérience. Cette fois, “on est tombés sur un monsieur qui n'a rien voulu entendre, il m'a prise pour une vraie idiote”. Elle nous confie que depuis, elle n'a pas souhaité se rendre à nouveau dans une grande surface et préfère, elle aussi, privilégier les “commerçants du coin qui [la] connaissent et qui savent qu'[elle] vient avec [ses] contenants”.
Le bilan : aller plus loin et transmettre la prise de conscience
Les expériences d'Estelle et Sylvia se rejoignent également sur un point : l'intérêt porté aux ateliers menés dans le cadre du défi. Pour apprendre à cuisiner les restes, à fabriquer ses propres produits cosmétiques ou encore à trouver des alternatives aux protections hygiéniques vendues dans le commerce, ces séances ont permis à chaque membre de la famille de mettre en pratique la démarche du zéro déchet. “Ma fille est assez sensibilisée et enthousiaste à l'idée d'essayer différentes choses, explique Estelle qui a participé à un atelier sur l'hygiène féminine en sa compagnie. Ça a permis d'aborder la question des protections hygiéniques et d'envisager de changer le modèle habituel, celui avec lequel j'ai grandi et vécu plusieurs années. Ce sont des produits qui demandent beaucoup d'énergie, le coton, les transports, les emballages plastiques. C'est une vraie réflexion à mener”.
A l'issue de ce défi, les deux mères de famille, qui avaient déjà inscrit leurs modes de vie dans une démarche écolo, sont pleinement satisfaites de leur expérience. Elle leur a fourni des outils concrets pour continuer à réduire davantage leurs déchets, mais les a également aidé à mener une réflexion globale en famille autour de la consommation, notamment avec leurs jeunes enfants dont la conscience écologique s'éveille doucement.
“Les habitudes qu'on a prises, nous allons les garder dans la vie de tous les jours”, assure Sylvia. Quant à Estelle, elle se dit heureuse que ce défi ait pu lui permettre d'engager une réflexion plus large. “Même si on n'arrive pas à passer le pas pour certaines choses, la réflexion est là, elle a été menée en famille et je pense qu'elle va faire son chemin. Plus que le zéro déchet, je conçois ce défi comme une réflexion autour de notre mode de vie au quotidien, nos déplacements en voiture, l'achat des vêtements… C'est revenir à la source, éliminer tout ce dont on n'a pas besoin pour limiter notre empreinte carbone”.