Emmanuel Chirache - Publié le 12 mai 2021
PARTICULES ET TUBERCULES - Comment concilier agriculture urbaine et pollution citadine ? C'est possible, à condition de suivre quelques conseils.
Le coronavirus semble avoir réveillé chez les Français un vieux réflexe ancestral de chasseurs-cueilleurs. Désormais, la devise nationale en matière d'alimentation, c'est le mot "autonomie". Autonomie à grande échelle, puisque, selon un sondage Odoxa, 93% des Français souhaiteraient que le pays s'oriente vers une autonomie alimentaire, mais aussi à l'échelle individuelle, chacun œuvrant pour sa propre résilience en cultivant ses fruits et légumes.
À la ville, c'est un vrai défi : problème d'espace, et surtout sanitaire. La pollution de l'air et des sols y est telle que la question de la viabilité comestible des aliments se pose. Puis-je manger les fruits, les légumes, les herbes que je cultive sur mon balcon, sur mon toit, ou dans mon jardin ? Alors que le concept d'agriculture urbaine comment à prendre son essor, cet enjeu primordial nécessite quelques éclairages.
Youtubeuse pour la chaîne Ta Mère Nature, autrice et créatrice d'une pépinière à la Cité Fertile dans le 93, Ophélie Damblé nous a donné quelques pistes pour cultiver sans danger quand on vit dans une métropole, des conseils qui peuvent d'ailleurs servir aussi à la campagne, pas épargnée par les problèmes de pollution.
Le seuil fatidique du 5e étage
18h39 : Quels sont les dangers d'un point de vue sanitaire quand on cultive en ville ?
Ophélie Damblé : La pollution de l'air et des sols ! Dans l'air, les particules fines, les métaux lourds, les hydrocarbures proviennent de la circulation des voitures, du chauffage, des incinérateurs... Ce qu'il faut, c'est s'éloigner le plus possible de la voirie. Pourquoi est-ce qu'il existe autant de projets de potager urbain sur les toits ? Ce n'est pas qu'une question de place, c'est aussi parce que plus tu montes en altitude, plus tu gagnes en qualité d'air.
Quand je fais des formations, je donne en référence aux particuliers le seuil du 5e étage. A partir de là, c'est bon, même si ça dépend d'autres critères évidemment. En dessous, si tu donnes sur un boulevard, effectivement tu vas avoir des soucis de pollution. Quand j'ai travaillé sur les toits du BHV, près de la rue de Rivoli, très dense en voitures, je sentais la différence d'un point de vue olfactif par rapport à la rue. On sait que les particules se concentrent en bas, au niveau des enfants et des animaux.
Récemment, 60 millions de consommateurs a conseillé à ses lecteurs de se renseigner sur l'histoire du sol de leur jardin. "Il occupe peut-être la place d'une ancienne station-service ou d'une décharge", écrivent-ils... Tu confirmes que ça peut être utile en ville aussi ?
Bien sûr ! Il ne faut pas hésiter à se renseigner auprès de sa mairie. Je connais bien les murs à pêche de Montreuil, par exemple, et la municipalité donnait des directives spécifiques aux cultivateurs à cause de la pollution des sols, ils les prévenaient notamment que les légumes feuilles et racines absorbent plus la pollution que les légumes fruits, donc c'est moins dangereux de planter une tomate qu'une salade.
Quand tu n'es pas certain de la qualité de ton sol, et que tu veux faire du comestible, alors il reste la solution du hors sol : tu montes des bacs, tu sépares la terre saine de la terre que tu connais pas, mieux vaut amener soi-même la terre saine d'ailleurs. Et puis il faut couper le lien avec la terre en utilisant du géo-textile. Malgré tout, la qualité des aliments ne sera pas la même en fonction du lieu où tu te trouves par rapport au trafic routier.
Hydroponie et aquaponie pour éviter l'agonie
Justement, le hors sol ça peut rebuter, il y a un peu cette image d'agriculture qui ne serait pas connectée à la terre et donc à la nature.
C'est vrai que c'est décrié, mais de base, la ville est hors sol et la plupart de la terre est ravagée ! Alors certes, on peut mettre des plantes qui dépolluent, sauf que ça prend des années et qu'on ne va pas les manger. Si tu veux du comestible, le substrat doit être sain.
L'hydroponie et l'aquaponie, ça permet de contourner ça. L'hydroponie, c'est plus facile, c'est plus léger que de ramener de la terre chez soi. C'est un circuit fermé d'eau avec un système de pompes et ensuite tu rajoutes des solutions nutritives, des engrais liquides. Il y a une super chaîne YouTube, Les Sourciers, qui vulgarise très bien le concept. On peut utiliser l'eau du robinet, disons que je pars du principe que si tu peux la boire, tes plantes aussi.
Enfin, il existe aussi la culture sur botte de paille, où la paille te sert de substrat, c'est une bonne solution. L'aquaponie, c'est plus compliqué...
À titre personnel, je sais que tu plantes des fruits et légumes en ville, est-ce que tu restes convaincue que c'est une démarche viable ?
Oui ! A la campagne, il m'arrive de passer devant des champs en monoculture à côté de l'autoroute, et je me dis que ce n'est pas mieux qu'en ville. C'est vrai que j'habite au-dessus d'un grand boulevard au premier étage, alors je ne consomme pas ce que je fais pousser, c'est un choix. Cela dit, mon coloc' le fait, lui.
Pour moi, l'intérêt planter des fruits et légumes en ville, c'est justement de questionner la place de la nature et de l'alimentaire dans les habitats urbains. A Paris, 60% de l'espace public est consacré à la voiture, ça vaut le coup de mettre en lumière le souci que ça pose. On est face à des enjeux criants d'autonomie alimentaire, mais on continue de construire des places de parking partout... Quand je fais pousser des trucs comestibles, le but n'est pas forcément de récolter, plutôt de questionner les gens. C'est un acte militant et pédagogique.