Emmanuel Chirache - Publié le 5 juillet 2020
BIODIVERSITÉ LOCALE - Le confinement a provoqué une envie de nature chez les Français : profitons-en pour la regarder vraiment !
Vacances programmées à la campagne ou à la mer, "vague verte" aux municipales, succès fou des tutos pour débuter au potager... Les Français multiplient les signaux qui montrent à quel point ils ont envie d'air pur. Un récent sondage réalisé par le Huffpost déclare d'ailleurs que 67% des Français ont ressenti le manque de nature durant le confinement.
Or, cette nature pourrait bien être plus proche de nous qu'on le croit, même en ville. Le confinement n'a pas fait que nous frustrer de sa présence, il nous a aussi montré qu'elle était déjà là, sous nos yeux, et que nous n'avions pas toujours pris le temps de la regarder. Comment expliquer sinon qu'une simple et banale vidéo de canards dans les rues de Paris prenne une telle ampleur sur Internet ?
Pour le naturaliste Marc Giraud, écrivain et porte-parole de l'ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages), il existe une "faune de proximité", pleine de surprises, qui mérite d'être redécouverte. Le confinement lui a mis un petit coup de projecteur, sous la forme de rencontres inopinées avec un chevreuil dans un jardin ou d'oiseaux qui piaillent sous nos fenêtres, mais il reste encore du chemin à parcourir.
"Même avec de bonnes intentions, on provoque des catastrophes !"
18h39 : Pendant ou juste après le confinement, on a vu beaucoup d'animaux sortir des bois, des rivières, pour s'approcher des humains. Je ne compte plus le nombre d'articles de presse régionale évoquant un chevreuil aperçu dans un jardin... Est-ce qu'on peut expliquer ce phénomène ?
Marc Giraud : On ne peut pas dire que la "nature a repris ses droits", c'est un temps beaucoup trop court. Non, c'est un jeu de vases communicants : avant, les humains étaient partout et les animaux étaient confinés, les choses se sont juste inversées. Les animaux ont une plasticité comportementale, ils sont très souples, dès qu'ils savent qu'ils ne sont plus chassés à tel endroit, ils y vont en nombre !
La chasse s'est réduite durant le confinement, pas arrêtée totalement, car il y a eu beaucoup de braconnage, mais quand même : des animaux très persécutés comme le renard ont fait une saison de reproduction bien meilleure. Globalement, tous les animaux ont profité du confinement pour mieux se reproduire.
Etant donné que les échanges entre les hommes et les animaux sauvages sont plus nombreux suite au confinement, est-ce que vous recommandez des règles de conduite ? Des choses à faire et à ne pas faire ?
Le souci, c'est que les gens connaissent de moins en moins la nature. Même avec de bonnes intentions, on provoque des catastrophes ! Il y a des oiseaux qui ont niché sur les plages pendant le confinement, par exemple les gravelots pondent des œufs invisibles sur le sol, il faut quatre petits cailloux bien alignés pour que ce soit un nid. Il faut faire bien attention quand on marche sur la plage, et en tant que naturalistes on met des pancartes habituellement pour que les gens les remarquent.
Sauf qu'après le confinement, les gens les ont parfois écrasés, certains ont même utilisé nos pancartes pour faire des barbecues ! Donc le meilleur conseil, c'est de ne rien faire quand vous croisez un animal. Le chevreuil, par exemple, il vous a forcément repéré, l'essentiel c'est de ne pas être agressif ni trop brusque, de ne pas s'approcher trop près. Le chevreuil a l'habitude des humains, il ne sera pas surpris, mais il faut bien garder le chien en laisse si on en a un.
"On est une espèce très maternante, on voit des chevaux, on veut leur donner de l'herbe."
Que faire si on rencontre un animal qui est blessé ?
Il faut constater qu'il est vraiment blessé ! Si c'est un petit, les parents savent qu'il est là et c'est votre présence qui les empêchent de le nourrir. Par exemple, il faut être sûr que l'oiseau a l'aile cassé ou qu'il piaille beaucoup, puis le mettre dans le noir, dans un vêtement pour le sécuriser. Ensuite, il ne faut en aucun cas soigner soi-même l'animal et le relâcher, c'est interdit. Il faut appeler un centre de soins, hélas il n'y en a pas beaucoup et ils étaient débordés pendant le confinement à cause du braconnage. Beaucoup de rapaces ont été chassés, même un ours a été abattu ! Les anti-nature se sont faits plaisir. Un coup de feu, on sait pas d'où ça vient... et puis les gardes étaient confinés aussi.
Comment faire si on veut pouvoir observer cette faune sauvage sans la déranger ?
C'est dur de répondre, ça dépend des espèces. Mais je dirais qu'il existe une faune de proximité que la présence humaine ne dérange pas. Des hirondelles dans la maison, c'est un vrai spectacle et c'est utile. Les mésanges, les pinsons, ce sont des oiseaux beaux et colorés, presque exotiques si on sait les regarder. C'est ça, notre nature de proximité ! Je pense qu'il faut s'intéresser à ces animaux familiers, plutôt que vouloir observer une loutre ou un sanglier.
Je conseille aussi de contacter une association de protection des animaux, certaines font des sorties avec des guides. La SNPN (société nationale de protection de la nature) a créé la Fête des mares, par exemple ! Tout le monde peut aller dans la nature, mais le guide montre la bonne manière d'écouter et d'observer, il donne les moyens de voir, c'est une habitude à prendre. A Paris, j'entends les perruches qui se sont échappées, mais personne ne les regarde, car il n'existe pas d'éducation dans ce domaine.
Dans le jardin, je ne suis pas très favorable aux mangeoires et nichoirs, parce que ça donne l'illusion qu'on est indispensable à la nature, alors qu'on est plus le problème que la solution. Les oiseaux savent migrer, construire un nid, chercher la nourriture, ils n'ont pas besoin de nous. On est une espèce très maternante, on voit des chevaux, on veut leur donner de l'herbe. Les nichoirs, c'est aussi des nids à épidémies, ça rassemble un paquet d'oiseaux, qui font des fientes partout. On se retrouve avec des mésanges qui vont chasser trop de chenilles, du coup on aura moins de papillons et on crée un déséquilibre comme ça. Ceux qu'on aide, ce sont les animaux les plus communs, les chauve-souris rares n'iront pas dans vos nichoirs.
"La nature trouve des solutions toute seule"
On se souvient du triste fait divers de l'euthanasie d'un faon adopté par une famille dans le Jura, ou encore du cas du sanglier Maurice qui risque le même sort. Il est en effet interdit d'adopter un animal sauvage, alors que faire si on souhaite défendre les animaux près de chez soi ?
Adhérer à une association ! C'est ce qui donne un poids financier aux défenseurs de la nature, et surtout une légitimité pour négocier avec les politiques. C'est bon pour la nature. On se bat contre les abus de la chasse, on achète des réserves naturelles, on libère la nature de l'exploitation humaine, ce qui n'existe quasiment pas en France.
En gros, on confine localement les animaux, on leur fout la paix et ça marche très très bien, on constate leur recrudescence avec nos caméras. Ce n'est pas de la nature sous globe, au contraire ! C'est un processus d'adaptation au réchauffement climatique qu'on protège. La nature trouve des solutions toute seule. Les études prouvent que les espèces invasives ont plus de mal à s'implanter dans ce type de réserve par rapport à un milieu dégradé. Une nature laissée à elle-même, c'est un corps qui a toutes ses défenses immunitaires.