Matthieu M. - Publié le 10 janvier 2019
JARDIN - Eric Lenoir est fan de musique punk. Il a décidé d'appliquer les grands principes de ce mouvement au jardinage. Une révolution… pour les paresseux !
Eric Lenoir a grandi “dans des cités HLM super moches avec des jardins super moches.” Pendant longtemps, le paysagiste a cherché la raison de cette laideur mais n'y est pas parvenu. Quand à l'âge adulte, il se retrouve à la campagne avec un terrain de 1,7 hectares sans le temps de s'en occuper, il cherche des solutions pour l'entretenir facilement “sans y mettre des produits chimiques dedans.” Aujourd'hui, le Flérial, c'est le nom de son jardin, resplendit de mille feux sans qu'Eric ait besoin de l'entretenir tous les jours.
Depuis, il explique à qui veut l'entendre que ni le manque de moyens, ni le manque de temps ne sont des arguments valables pour expliquer qu'un jardin ne soit pas beau. Cette prise de position, il l'a détaillée dans deux ouvrages, le Petit traité du jardin punk (Ed. Terre Vivante, 2018), suivi du Grand traité du jardin punk (même éditeur, 2021). A l'intérieur, il déconstruit certains préjugés sur le paysage et démontre qu'un jardin punk se fait avec ce que l'on a. Rencontre.
18h39 : Votre livre n'est pas un guide pratique pour apprendre le jardinage, c'est un manifeste en faveur de ce que vous appelez le jardin punk. Qu'est ce que c'est ?
Eric Lenoir : Le concept du jardin punk, c'est : je n'ai pas d'argent, je n'ai pas le temps pour m'occuper du jardin, je ne veux pas spécialement le faire, j'ai un bout de terrain, alors qu'est ce que j'en fais ?
Il faut que ça soit facile à faire, économe, sans rajouter des trucs chimiques dedans, et que ça ne demande pas beaucoup d'efforts à entretenir. L'objectif étant qu'il soit plus beau que le précédent.
Vous expliquez qu'il faut laisser la nature reprendre ses droits, que le jardinage, dans sa forme actuelle, est plein de “conventions insupportables”. Que voulez-vous dire par là ?
Il ne faut pas oublier pourquoi le jardin a été fait. À la base, c'était pour permettre aux êtres humains de s'affranchir des problématiques liées au monde sauvage. On s'est protégé des intempéries, des vols, des animaux qu'on élevait. Cela répondait à un besoin indiscutable.
Aujourd'hui, on se retrouve dans une situation qui est complètement nouvelle pour l'humanité : on peut se permettre de jardiner non pas pour produire notre nourriture mais aussi pour l'agrément, on peut expérimenter des choses alors qu'avant on n'en avait pas le loisir. On peut se tromper.
Oui, le message principal de votre ouvrage, c'est d'oser se lancer, faire des erreurs et ne pas se laisser impressionner par la “science du jardinage”.
Exactement ! Il n'y a aucun risque à cela ! Moi j'ai connu le milieu punk, j'ai joué dans un groupe. Le punk a permis à des mecs qui mouraient d'envie de faire de la musique mais qui ne connaissaient que deux ou trois accords et n'osaient pas car Pink Floyd ou Eric Clapton existaient, de prendre leur guitare et se dire : “putain on peut jouer de la musique et c'est bien !”
C'est ce que je voulais faire avec le jardin écolo : on a tout sous le coude, il n'y a quasiment rien à rajouter pour que ça soit bien. Si tu as envie de planter quelque chose, tu ne vas pas y laisser ta vie et tout foutre en l'air.
À quoi ressemble un jardin punk ?
C'est un jardin où l'on va s'adapter au milieu plutôt que de le forcer à s'adapter à ce que l'on veut. Par exemple, j'étais chez des clients qui avaient un court de tennis mais n'en faisaient pas. J'ai installé des plantes dans le court pour qu'elles le détruisent. J'y ai planté des bouleaux, qui ont traversé le sol et maintenant ce sont eux qui s'occupent de créer un milieu propice à la venue d'autres végétaux.
Est-ce qu'il y a des terrains plus propices que d'autres pour créer un jardin punk ?
C'est justement l'idée opposée : démontrer que, quelle que soit la nature du terrain, quelles que soient les conditions, la diversité, quoi qu'il s'y soit passé, on peut faire un beau jardin à moindre effort.
Vous encouragez même à reconsidérer le désordre. Tailler ou tondre, c'est une perte de temps ?
Oui, en fait c'est devenu un atavisme plus qu'une nécessité. La tonte a des vertus esthétiques dans le cadre d'un jardin à la française par exemple, comme Versailles. Mais en dehors de ça, elle n'en a quasiment aucune. La tonte est d'ailleurs une hérésie écologique.
Tandis qu'une prairie, c'est de l'ombre, de la fraîcheur, de l'eau qui pénètre mieux dans le sol alors qu'une pelouse tondue c'est rigoureusement l'inverse.
“L'intense préparation du sol” est à négliger selon vous. Comment faire pour semer dans un jardin punk ?
On peut semer uniquement dans les parties disponibles pour être semées. Imaginons que vous venez de récupérer un terrain sur lequel il y a eu des terrassements : la terre est retournée, c'est le bon moment pour semer.
Vous avez des taupes qui font des trous ? Vous allez semer sur des taupinières et sinon le cas échéant vous faites de petits sillons à des endroits bien précis, un petit coup de griffe pour aider les graines à pénétrer et ça ira bien.
Très concrètement, par quoi doit-on commencer ?
Le punk est un fainéant, il n'a pas forcément envie de se donner du mal. Alors, pendant un an, vous devez rester à glander, à regarder ce qui se passe dans votre jardin pour voir ce qui pousse : Où ? Comment ? Pourquoi ? Où l'eau coule, où le froid est le plus intense, là où est le vent.
Quelles espèces végétales sont particulièrement adaptées à ce genre de jardin ? Des plantes capables de germer aussi bien dans une friche que dans un jardin municipal ?
Il y a pas mal d'acers [type d'arbre ou d'arbuste, ndlr] qui sont extrêmement robustes. Vous avez aussi les hémérocalles et puis les bouleaux. Si vous plantez des bouleaux, il faut les planter très jeunes. Vous en ferez ce que vous voulez.
Vous prônez le retour à des outils désuets. Qu'est-ce que l'on trouve dans la trousse à outils d'un jardinier punk ?
Une faux. De préférence une faux à débroussailler, qui est plus courte et plus robuste, ça c'est l'outil de base. Après, il y a un outil que j'adore, qui n'est pas un outil de jardinier, c'est un couteau à couper les isolants naturels. Cela ressemble à un grand couteau à pain, qui va bien pour tailler dans les broussailles et les haies.
Et enfin la houe : s'il faut travailler le sol ça sera à la houe. Avec ces trois outils-là, vous ferez ce que vous voulez.