Lisa Hör - Publié le 1 mars 2022
HABITER AUTREMENT - Olivier Darmon remet en question notre définition d'un chantier réussi, à travers une vingtaine de réhabilitations étonnantes, de l'ancien séchoir à tabac au bunker, en passant par l'entrepôt désaffecté.
Olivier Darmon est fasciné par les ruines. Ou plutôt par la vie qui peut y renaître. Dans son dernier ouvrage, Ré:habiter - Réutiliser, transformer, expérimenter, paru en 2021 aux éditions Alternatives, le journaliste et historien démontre que démolir un bâtiment désaffecté est toujours une mauvaise idée.
À travers une vingtaine de projets autour du monde - ici un bunker devenu location de vacances, là un ancien parking aménagé en bureaux, il nous fait découvrir toute l'inventivité de certains architectes pour ressusciter des lieux promis à la destruction.
Avec un principe. Intervenir le moins possible, dans une démarche à la fois minimaliste et écologique. Le résultat a de quoi surprendre car les matériaux restent bruts, le béton, nu, les charpentes, apparentes. Mais cette nouvelle esthétique, cette autre définition du confort, a de quoi convaincre.
Croyez-nous, après la lecture de cet entretien, vous pourriez bien laisser tomber votre projet de maison neuve pour chercher sur le Bon Coin un entrepôt désaffecté à retaper.
Réhabiliter plutôt que rénover
18h39 : "Réutiliser un bâtiment plutôt que le démolir pour reconstruire constitue bien entendu le b.a.-ba de la bonne pratique environnementale." Voilà le préalable que vous posez dès l'introduction de votre livre. Pourquoi est-ce un non sens aujourd'hui de démolir ?
Il y a eu pas mal d'études sur ce phénomène de démolition-reconstruction et elle montrent toutes que c'est une catastrophe, que ça a un coup environnemental considérable. C'est un gâchis des matériaux existants et une consommation inutile de matériaux neufs. On dépense de l'énergie pour démolir, transporter et mettre en décharge des gravats d'un côté, et de l'autre on dépense de l'énergie pour transporter et mettre en œuvre de nouveaux matériaux.
Du point de vue du droit à construire, ne pas démolir peut aussi être très intéressant. Souvent, après 20-30-40 ans, le plan légal d'urbanisme a évolué, on ne peut plus construire aussi haut par exemple, ou tout simplement la zone est devenue inconstructible. Conserver l'existant, c'est conserver les dispositions antérieures. Alors que si on démolit et qu'on reconstruit, on est soumis au nouveau plan d'urbanisme, on est plus limité.
18h39 : Mais on pourrait penser que parfois, on est obligés de démolir, par exemple, un vieux parking pour mieux reconstruire des logements.
C'est typiquement l'argument pro-démolition. Dans un premier temps, on laisse le bâtiment inoccupé, il s'abîme. Puis on dit que le bâtiment est obsolète et incompatible avec ce que l'on a envie de faire, que la transformation n'est pas pertinente et serait plus coûteuse qu'une construction neuve.
Ça ne tient pas. Pour l'essentiel, dans ce livre, j'ai choisi des bâtiments qui sont très dégradés, qui étaient promis à la démolition, mais qui ont été réhabilités. Il faut le vouloir, il faut avoir le talent de sortir des schémas tout faits.
18h39 : Quelle est la démarche commune dans les projets que vous présentez ? Ce n'est pas de la rénovation, ça va plus loin encore.
Ça va beaucoup plus loin. Ce qui résume assez bien la démarche, c'est la stratégie du bernard-l'hermite. On se glisse dans le bâtiment sans chercher à le remodeler, sans plaquer le plan standard des constructions neuves, avec des petites pièces, des couloirs de distribution, des petites fenêtres, mais en proposant des plans inédits, qui dépendent du bâtiment existant.
Dans le livre, il y a par exemple la Maison Séchoir, réhabilitée par les architectes Christophe Hutin et Marion Howa. C'est un ancien séchoir à tabac. Il y en a eu beaucoup dans le Lot, qui ont été abandonnés à partir des années 1950 et pas mal transformés en habitation. La manière classique de les transformer, c'est vraiment de leur plaquer une distribution de maison, de mettre un étage et de tout cloisonner, de faire x chambres, un salon…
Là, la démarche est intéressante, car elle conserve toutes les qualités du séchoir, qui est un bâtiment assez complexe, fait pour une utilisation industrielle. L'archi s'est glissé à l'intérieur, en créant un module de verre qui permet de profiter de l'ensemble du volume du séchoir. On est dans une configuration qui n'a plus rien à voir avec la maison individuelle.
18h39 : Dans lequel des bâtiments que vous présentez vous verriez-vous habiter ?
Ils sont tous bien... L'entrepôt "4 climats" en Belgique est très intéressant (un ancien atelier de stockage transformé en atelier partagé et en habitation par le cabinet d'architecture AgwA, ndlr.). L'idée des architectes était de partager l'espace entre un espace chauffé et un espace non chauffé, ce qui permet aux occupants de s'étendre selon le climat.
Quand il fait bon, l'espace non chauffé devient complètement habitable et quand il fait froid, on est sur une surface plus petite. Cette faculté à s'étendre est hyper intéressante, d'autant plus que le fait d'avoir un espace non chauffé participe à l'isolation de l'espace chauffé. On isole avec du vide, du point de vue de la transition énergétique c'est une bonne chose, car on n'utilise pas de matériaux isolants qui proviennent de la pétrochimie.
Le fait d'avoir ce surplus d'espace permet aussi de ne pas être trop précieux. On peut bricoler, on peut en faire un salon d'été... On peut faire ce qu'on veut de cet espace qui n'est pas attribué. C'est l'inverse de ce que l'on peut présenter dans les revues de déco et d'architecture, où tout est mis en place et impeccable, où il ne reste qu'à s'asseoir sur le canapé et à ne pas trop salir le tapis.
18h39 : Mais dans ces projets, on voit aussi qu'il y a de la poussière, du béton apparent. Est-ce qu'il faut accepter une certaine dose d'inconfort ? À quel point la réhabilitation remet-elle en cause notre définition du bien-être à la maison ?
Ça dépend où l'on place la notion de confort. Ce que favorise ce type d'intervention, c'est quand même une certaine liberté de mouvement, d'aménagement.
On peut trouver une certaine esthétique, une certaine intensité aux matériaux laissés bruts, aux traces du temps, aux ajouts... On peut préférer une surface impeccable, lisse, immaculée, mais je suis pas sûr que cette surface favorise la vie.
Je pense que le confort, c'est avoir de la lumière et de l'espace. Les tiny houses, par exemple, sont toutes propres et impeccables mais ça me semble compliqué d'y habiter, parce que la vie au quotidien, ce n'est pas de la gestion, ce n'est pas devoir tout ranger tout de suite. Je trouve ça hyper contraignant. Là, au moins, on n'a pas besoin d'enlever ses chaussures.
18h39 : Comment les lecteurs peuvent-ils s'approprier cette démarche de réhabilitation dans leurs propres projets ? S'ils achètent une ancienne ferme ou une ancienne usine, que doivent-ils commencer par faire ?
Je ne suis pas architecte, mais on voit que c'est d'abord dégager l'espace de tout ce qui peut le contraindre, le faux plafond, les cloisons... Mais ne pas chercher à masquer, à rajouter des couches sur des couches.
Par exemple, il y a cet appartement à Palma en Espagne. L'architecte, Carles Olivier, a réalisé une intervention très simple, avec seulement des percements. Il a supprimé tout ce qui contraignait et l'espace et la circulation de la lumière. Pour 15 000 euros, il a fait un appartement où tout est fluide et où la lumière circule facilement.
Ce que préconise l'architecte Christophe Hutin, "observer plus, construire moins", résume assez bien ce type de démarche. Il s'agit de s'appuyer sur l'existant sans essayer de plaquer quelque chose dessus. D'en dégager le potentiel et de se libérer des idées toutes faites.