Lisa Hör - Publié le 20 février 2022
MAISON INSOLITE - Ces édifices en béton sont parfois accusés de défigurer le paysage. Mais quand des passionnés s'attachent à les rénover, cela donne des habitations hors du commun, et étonnement confortables.
Mise à jour le 15 septembre 2023.
Oubliez les douves et les ponts levis. N'imaginez pas de vastes cheminées ni de tourelles. Cette vie de château-là n'a rien à voir avec les contes de fées ou le Moyen-Âge.
Eudes Ajot, consultant en art, ne s'est jamais pris pour un chevalier. Ce qu'il a toujours voulu habiter, c'est un château d'eau. “Pour la vue, et pour avoir comme jardin le paysage tout autour, nous confie-t-il. Ne pas avoir de voisinage à proprement parler, si ce n'est toute la région.”
Bientôt, il pourra scruter l'horizon à loisir, car l'un des trois châteaux d'eau qu'il a achetés en Bretagne va être transformé en habitation. Il a le permis et les plans en 3D, ne reste qu'à lancer les travaux.
Rozenn Devic, elle, n'avait jamais imaginé vivre dans un tel bâtiment. Mais lorsqu'elle a découvert dans le journal local que la mairie de Niort envisageait de vendre un château d'eau désaffecté depuis une trentaine d'années, cette experte immobilier a sauté sur l'occasion. “J'ai à coeur de pouvoir transformer ou réhabiliter tout ce qui est à l'abandon ou ce qui semble compliqué à aménager”, nous explique-t-elle.
En entrant à l'intérieur pour la première fois, son intuition s'est confirmée : “Tout en haut, à 13 m de haut, il y avait 14 petites lucarnes. Le soleil y rentrait de façon très mystique. Ca m'a fascinée tout de suite.”
Le locataire actuel - car Rozenn a acheté ce château d'eau pour le transformer en triplex, a accepté de nous en ouvrir la porte :
Et bonne nouvelle, cette maison ultra atypique est à vendre ! Vous pouvez retrouver toutes les infos dans le post ci-dessous :
"Vous savez, tous les châteaux d'eau sont beaux"
Cet attrait pour les châteaux d'eau vous surprend ? C'est compréhensible. Après tout, ces édifices de béton n'ont pas été construits pour s'intégrer dans le paysage, mais pour remplir une fonction bien précise : constituer une réserve d'eau potable pour les habitations alentour. Ou bien - le saviez-vous ?, pour alimenter les locomotives à vapeur, à l'époque où s'est développé le chemin de fer. C'est ce que nous apprend Eudes Ajot, président de l'association les Châteaux d'eau de France.
Cylindriques, sphériques ou encore en bouchon de champagne, chaque château d'eau est unique. Et chaque voisin a son avis sur leur esthétique. “Ils ont été beaucoup décriés, la population leur reprochant de dépaysager l'environnement. Aujourd'hui, les éoliennes ont pris la relève, c'est plutôt d'elles que l'on se plaint”, observe Eudes Jadot.
En accrochant le regard, les châteaux d'eau font aussi office de points de repère. On se surprend alors à s'y attacher, à les vouloir immuables. Comme en témoigne le petit film réalisé par l'artiste Jo Brunnenberg, qui a dressé le portrait de nombreux châteaux d'eau français :
“Vous savez, tous les châteaux d'eau sont beaux”, y témoigne un habitant. Surtout quand il sont repeints, transformés en œuvres d'art ou rénovés en habitation, pourrait-on ajouter.
Pour Eudes Jadot, c'est en tout cas un patrimoine industriel dont il faut entretenir la mémoire. Même si “cela fait partie du cycle” que certains châteaux d'eau soient détruits, lorsqu'ils sont trop petits pour répondre à la demande en eau.
Première mission de l'association les Châteaux d'eau de France, les recenser et les cartographier. Chacun peut envoyer une photo pour compléter la base de données. Car, étonnement, il n'existe pas de liste officielle : “Ce n'est pas centralisé. Ils peuvent appartenir à des villes, des agglomérations, des hôpitaux, des syndicats des eaux, à la SNCF…”, énumère Eudes Ajot.
Difficile de savoir combien il en existe en France. L'association, en croisant ses informations avec l'Institut de l'Information Géographie et forestière, est parvenue au nombre de 57 000 constructions… mais cela comprend aussi les réservoirs enterrés.
Eudes Ajot n'en connaît qu'une dizaine qui ont été transformés en habitations. Parmi ceux-ci, le château de Rozenn, repeint en blanc et gris, se fond aujourd'hui parfaitement dans son lotissement.
"Comme un phare en pleine terre"
Et à quoi ressemble la vie à l'intérieur ? “On s'habitue vite”, raconte Fabien Faure-Bonnet, l'actuel locataire. Une cloison droite a été aménagée à chacun des trois niveaux, pour reposer les yeux. On n'a donc pas du tout le tourni, même quand on passe d'un étage à l'autre.
Les seuls moments où Fabien réalise vraiment qu'il habite un château d'eau, c'est quand il regarde par une fenêtre, à plus de dix mètres de haut, ou qu'il s'installe dans la mezzanine aménagée juste sous la cuve. “Le petit plus, c'est qu'on a l'impression d'être dans un cocon. Surtout dans cette pièce, on a vraiment l'impression d'être hors du monde, c'est super calme, on n'entend rien.”
Cette impression confirme ce qu'imagine Eudes Ajot, pour son futur emménagement : pour lui, un château d'eau est "comme un phare en pleine terre".
Alors, cela vous donne envie ? Guettez les petites annonces dans la presse locale ou bien écrivez à l'association les Châteaux d'eau de France, on ne sait jamais. Vous tomberez peut-être sur une bonne affaire, comme Rozenn, qui acheté son château d'eau 900 euros.
Soyez prêts, en revanche, à entamer d'importants travaux. Une fois la cuve vidée, la structure a beau être en béton armé, elle devient plus fragile. Rozenn a trouvé la parade en faisant construire une structure métallique autoportée à l'intérieur des murs de béton. Un gros défi technique pour les artisans - et un budget conséquent, entre 250 et 280 000 euros tout compris. Mais pour vivre la vie de château, il faut rêver haut !