Matthieu M. - Publié le 23 novembre 2020
HABITAT - Deux architectes et un anthropologue ont fait un tour de France des maisons écologiques pour répertorier les bonnes et les fausses bonnes idées.
Kerterre, yourte, conteneurs ou encore maison en paille, les maisons écologiques intriguent de plus en plus le grand public et ne sont plus réservées à une poignée d'écolo bricoleurs. Avides de changement et conscients de l'impact du logement sur l'environnement, nombreux-ses sont celles et ceux qui cherchent des alternatives pour vivre dans une maison en adéquation avec leurs convictions écologiques.
C'est pourquoi, Mathis Rager et Raphaël Walther, architectes, et Emmanuel Stern, anthropologue, ont sillonné les routes de France en quête de la maison écologique idéale. Sur la trentaine d'habitations, ils en ont gardé 12 qu'ils présentent dans leur ouvrage Le tour de France des maisons écologiques (Ed. Alternatives, 2020). Un travail d'enquête qui met en avant les bonnes et les moins bonnes idées de l'habitat écologique. Entretien.
18h39 : Vous avez visité une trentaine de maisons écologiques en France. Pouvez-vous me donner une définition ?
Mathis Rager : On a essayé de la définir dans un livre de 240 pages pour conclure qu'il n'y avait aucun type de maison écologique. Il y a toujours un contexte qui est très local, il faut avoir une lecture du territoire et du contexte pour comprendre l'approche durable et responsable. Il ne faut surtout pas appliquer les solutions écologiques clef en main. On a rencontré des gens qui faisaient leur maison écologique avec du bois qui venait de Suède et on s'est rendu compte que c'était absurde. Mieux vaut utiliser du parpaing et avoir une empreinte carbone moins importante.
Emmanuel Stern : Ce qui les rassemble c'est une prise en compte de l'environnement la plus globale possible. D'où viennent les matériaux ? L'énergie dépensée pour transformer la matière première. Les matériaux vont-ils créer des déchets, polluer, ou vont-ils être réutilisés ?
Pourquoi avez-vous eu envie de faire ce tour de France qui vous a mené de la Bretagne à la Côte d'Azur en passant par les Pyrénées ?
Mathis Rager : Avec Raphaël, on travaillait depuis quelques années dans une grosse agence d'architecture sur des projets pharaoniques, tout en béton de ciment. Grâce à Emmanuel et sa formation de maçon en terre crue, on a découvert des constructions qu'on ne connaissait pas du tout dans nos milieux parisiens. On a trouvé ça intéressant de documenter des pratiques en bois, en terre, en chanvre, roseaux. Mais surtout, on voulait atteindre le grand public, on voulait dire qu'il est possible de construire de façon plus durable et responsable.
Raphaël Walther : Et il y a trois ans, on a participé à un chantier participatif pour construire une maison en pisé, en terre crue, en Corse pendant deux mois. On a eu l'intuition qu'il y avait des matériaux autres que le conventionnel, mais surtout on s'est rendu compte que ça existait en France et qu'il n'y avait pas besoin d'aller à l'autre bout du monde.
Comment avez-vous trouvé ces maisons écologiques ?
Mathis Rager : On est parti sur les routes de France pendant 60 jours. On avait fait un travail préparatoire où l'on avait repéré les maisons en amont, surtout sur internet grâce au réseau Twiza qui nous a beaucoup aidés. On était parti sur un objectif de 15 maisons à visiter, mais avec les rencontres, le bouche à oreille, on en a fait bien plus.
Géonef, kerterre, yourte, conteneurs, yourte, roseaux, super adobe… Pourquoi les 12 maisons que vous avez gardées sont-elles emblématiques de l'habitat écologique ?
Raphaël Walther : car chaque maison symbolise une façon d'envisager l'écologie. Pour la yourte, c'est vraiment l'économie de matériaux, c'est le projet le plus léger qu'on ait vu. Le superadobe, c'est un projet où 99% des matériaux viennent d'un rayon de moins de 30 mètres, tout provient du site. Pour le conteneur, c'est la notion de réemploi industriel qui est en jeu. Et les kerterres sont sur un objectif de réduction des besoins.
Est-ce qu'il y a un modèle de maison écologique qui se démarque selon vous, qui a le plus de chance de se généraliser ?
Emmanuel Stern : Il n'y a pas une maison qui aurait vocation à être répliquée partout en France. Mais il y a quand même dans ces 12 projets, certains qui nous paraissent plus pertinents que d'autres comme la yourte ou la bauge (maison traditionnelle en terre crue, ndlr) par exemple.
Raphaël Walther : Très rares sont les projets où il n'y a pas plusieurs impasses écologiques. La maison en paille porteuse est plutôt très vertueuse sur le principe car elle est faite avec de grosses bottes de paille. Mais la maison que nous avons visitée est posée sur une dalle en béton de 76 tonnes. Ca n'enlève rien au fait qu'elle soit intéressante, mais elle est incomplète écologiquement. Alors que la yourte est un projet qui est vraiment complet en termes de matériaux, performance, confort.
Qui sont les personnes qui vivent dans des maisons écologiques ? Au-delà du fait qu'ils soient engagés écologiquement, peut-on dresser des similitudes ?
Mathis Ranger : Justement, ils ne sont pas tous motivés par des raisons écologiques. Certains habitants n'avaient pas réalisé que leur maison était écolo. Parfois la raison est juste économique. Concernant les habitants, il y a tous les profils. On trouve parmi eux des métiers très différents: il y a des artisans charpentiers, des maçons, d'autres sont profs ou architectes. Il y a des citadins, des ruraux, des gens plus ou moins aisés, des gens qui ont plus ou moins de temps. Le panel est assez complet.
Est-ce qu'il y a une rencontre qui vous a particulièrement marqué ?
Emmanuel Stern : il y a l'histoire de citadins qui étaient ingénieurs structure et qui ont décidé de passer une formation de maçon spécialisé dans le bâti ancien pour pouvoir lâcher leur mode de vie en s'installant à la campagne. Ils ont concrétisé ce que beaucoup de gens ressentent. Il y avait quelque chose de beau dans cette rencontre.
Raphaël Walther : Le constructeur de la yourte nous expliquait qu'au départ il n'était pas du tout fan de la yourte. À la base, il voulait juste proposer un habitat léger pour attirer les touristes. Et en fait il s'est passionné pour ce système constructible qui peut être humide, insalubre, très petit. Il a décidé d'en faire une yourte d'exception, grande, très confortable et qui respecte les normes thermiques.
Certains sont motivés par des raisons économiques. Est-ce que cela coûte forcément moins cher de construire une maison écologique ?
Mathis Rager : pas du tout ! Mais l'autoconstruction, qu'elle soit par plaisir ou nécessité, va faire baisser le prix de construction, que l'on construise avec des matériaux polluants ou naturels. C'est ça qui va réduire le coût.
Raphaël Walther : Il y a pas mal de mises en œuvre qui se prêtent à l'autoconstruction. On a l'exemple des conteneurs qui sont des boîtes étanches et même les gens très peu bricoleurs ni dégourdis peuvent s'en charger. La paille qui est très légère peut être manipulée par n'importe qui.
Vous revenez sur la quête d'autonomie. Est-ce un but recherché par tous les habitants des maisons écologiques ?
Raphaël Walther : C'est un mot qui revient souvent à la bouche des personnes qu'on rencontre et à force on s'est amusé à questionner cette notion. À quel moment est-on autonome ? Si on est autonome avec une batterie reliée à des panneaux solaires, on considère qu'on n'est pas vraiment autonome car on va devoir en racheter à un moment si on est incapable d'en concevoir soi-même.
Est-ce que ce tour de France vous a donné envie de construire votre propre maison écologique ?
Mathis Rager : En 2020, une construction neuve, c'est une mauvaise idée. En France, on a affaire à un patrimoine en état d'abandon qui est très important. Il faut rénover nos maisons.
Le projet le plus écologique que l'on peut réaliser c'est le projet neuf qu'on ne fait pas. La construction neuve, quels que soient les matériaux de construction, est plus énergivore qu'une maison rénovée.