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PROSPECTIVE - L'artiste belgo-tunisienne, qui a transformé la Tour Eiffel en forêt virtuelle durant la COP21, nous donne sa vision du futur de l'habitat et de la société.

C'est une étrange alchimiste qui transforme le fer en bois. D'une certaine façon du moins. Avec One Heart One Tree, Naziha Mestaoui a mué la Tour Eiffel, notre iconique dame de fer, en forêt virtuelle, lors de la COP 21.

Cette plasticienne belgo-tunisienne, qui compte parmi les pionnières de l'art digital, a permis à tous les visiteurs et passants, munis d'un smart phone, d'y faire apparaître un arbre. Et pour chaque arbre virtuel créé, un véritable végétal était planté, grâce à des partenariats avec des associations.

L'avenir qu'elle nous imagine sera-t-il tout aussi vert ? Sûrement. Car nous vivrons dans un monde sans pétrole, pense-t-elle. "Notre habitat devra produire de l'énergie et ne générer aucun déchet, de façon à vivre en harmonie avec l'environnement."

Un habitat qui se métamorphose

Avant d'être plasticienne, Naziha Mestaoui était architecte-urbaniste. Il lui reste pour ces questions un intérêt qui la pousse à imaginer l'évolution de l'habitat. Selon elle, nous allons de moins en moins diviser l'espace en pièces distinctes, qui auraient chacune une fonction spécifique.

"Au contraire, nous allons superposer les fonctions : le même espace se métamorphosera autour de l'usage qu'on en fera. Ce sera une sorte de cocon flexible qui s'adaptera à notre imaginaire." Tantôt chambre, tantôt salle à manger, etc. À l'image des Ryokan japonais que convoque l'artiste.

En plus d'être modulable, l'espace habitable sera plus petit, "pour des raisons énergétiques". En conséquence de quoi nous possèderons de moins en moins d'objets. "Nous allons vers le moins, espère Naziha Mestaoui, mais vers plus de qualité."

Économie de services et impression 3D

Cette virée vers le minimalisme découle aussi, selon elle, d'un changement fondamental dans la société occidentale. Passant d'une économie de la possession à une économie de service. "Par exemple, nous ne posséderons plus une perceuse, nous la louerons."

Les offres d'échanges se développeront et les services rendus seront dorénavant sur-mesure et de qualité. À terme, ces derniers seront issus de plateformes citoyennes partagées et participatives.

Avec les imprimantes 3D nous imprimerons les objets dont nous auront besoin. Quand nous n'en aurons plus l'utilité, les objets seront réduits en poudre pour produire à nouveau d'autres objets.

Avec les imprimantes 3D nous imprimerons les objets dont nous auront besoin. © Quand nous n'en aurons plus l'utilité, les objets seront réduits en poudre pour produire à nouveau d'autres objets. Arthur Poitevin

Nous serons moins attachés aux objets. D'autant que nous pourrons les produire nous-mêmes grâce aux imprimantes 3D, qui ne fonctionneront plus alors avec du plastique, mais des matières sans pétrole. "Quand nous aurons besoin d'un objet qui ne sera pas sur une plateforme, nous l'imprimerons, imagine la plasticienne, et quand nous aurons fini de nous en servir, il sera réduit en poudre pour pouvoir en imprimer d'autres." Une micro usine équipera les habitations ou, à défaut, des structures de quartiers.

Aller vers le moins et le mieux

Finies les accumulations. Décroissance ? Le terme, qu'elle juge mauvais, ne lui convient pas. "Il ne faut pas souhaiter moins, mais plus ! Plus de qualité, de plaisir, de liberté, de santé. Moins consommer n'est pas un sacrifice."

C'est bien un bouleversement de la société de consommation que l'artiste entrevoit. "Aujourd'hui les gens sont moins attachés à une marque qui donnerait une valeur statutaire, on quitte cette idée qui veut que nous soyons définis par les objets que nous possédons."

Renouer avec la nature

Quitter les objets, pour retrouver la nature. Voilà la route que nous prenons. "Nous allons cesser de voir la nature comme une matière à exploiter pour la considérer comme une extension de nous-mêmes." La biodiversité fera partie intégrante des villes, y compris les insectes ! On en voit déjà les prémices avec les ruches et les fermes urbaines.

Si Naziha Mestaoui est si sensible à l'importance de la nature, c'est qu'elle a pris l'habitude de côtoyer une autre culture. Elle se rend régulièrement dans une société amazonienne où nature et culture ne sont pas opposées. Où on porte un grand respect aux animaux et végétaux.

Ce peuple amérindien nourrit sa réflexion : "les sociétés ancestrales sont une source d'inspiration pour notre avenir". Comme elles, mais sans retourner à leur mode de vie, "on adoptera une logique en réseau où chacun est à la fois émetteur et receveur".

Chacun produira, prêtera, rendra service. On peut alors imaginer avec elle un maillage de communautés, reliées entre elles à travers l'ensemble du territoire français.

En décentrant son regard, elle a pu discerner un avenir souhaitable aux sociétés occidentales. Un futur où l'homme ne serait plus au sommet de la pyramide, contrôlant et abusant de tout ce qu'il juge être en dessous de lui. Mais rien n'est joué. Encore faut-il qu'on s'engage sur la bonne voie.