Matthieu M. - Publié le 8 février 2018
VOISIN - Bruit, conflit, intrusion, le voisinage n'est pas franchement synonyme d'amour. Pourtant, les plateformes collaboratives de voisins se multiplient. La fin de la guerre ?
Les initiatives qui visent à nous rapprocher de nos voisins se multiplient : la fête des voisins par exemple, mais encore la multitude de réseaux sociaux collaboratifs comme Autour de toi ou Share Voisins.
On a le sentiment que, de plus en plus, il devient important de créer au sein de son immeuble ou de son quartier, une forme de vivre ensemble exacerbée. Au-delà de l'entraide ou de la solidarité, notre époque nous guide vers davantage de proximité.
Bienvenue chez les “voipains”
Lorsqu'elle emménage dans son nouvel appartement, Julie semble conquise par l'accueil que l'on réserve aux nouveaux habitants de l'immeuble : “pour que nous fassions connaissance, le président du syndic a organisé un pot de bienvenue, chez lui”, nous raconte-t-elle.
Ce qu'elle pensait être une initiative ponctuelle se répète en fait régulièrement. Au départ, deux étages en particulier sont constants dans l'organisation de dîners ou d'apéritifs. Julie, qui ne vit pas à l'un de ces étages ne se sent pas concernée.
Un soir, alors qu'elle rentre chez elle, elle remarque un petit prospectus, punaisé dans la cage d'escalier : le président du syndic invite les habitants de l'immeuble à rejoindre le groupe Facebook de l'immeuble. À priori rien de bien méchant, “l'idée c'est surtout d'organiser des verres entre voisins”, précise Julie.
Un détail pourtant attire notre attention et n'a pas manqué de faire réagir la nouvelle habitante. Dans la présentation du groupe, le président du syndic surnomme les habitants de cet immeuble parisien, les “voipains”. Comprenez, contraction de “voisin” et “copain”.
Sous couvert d'une intention louable, celle de créer du lien entre voisins de l'immeuble, le groupe devient de plus en plus intrusif : “Halloween, Noël, la galette des rois. Je suis étonnée qu'ils ne fassent rien pour la chandeleur”, souligne Julie.
D'une nature plutôt discrète, elle ne participe pas à ces événements conviviaux. “C'est un système un peu envahissant. Quand je les croise, je vois à leurs têtes que mon attitude n'est pas bien perçue.”
En refusant de devenir un “voipain”, Julie, malgré elle, est exclue de ce nouveau cercles d'ami-es.
Ne pas confondre voisin et amour, ni haine
“On est pas obligé d'aimer ses voisins. L'amour c'est un sentiment particulier réservé aux personnes proches”, explique Hélène L'Heuillet, philosophe et psychanalyste, autrice de Du voisinage : réflexions sur la coexistence humaine (Ed. Albin Michel, 2016).
Rassurez-vous, il est donc normal de ne pas vouloir aimer ses voisins à tout prix. L'amitié en revanche est possible, mais si elle est consenti par les deux camps, évidemment. La philosophe précise “ l'éthique du voisinage n'est pas celle de l'amour, mais pas obligatoirement celle de la haine non plus !”
En effet, il suffit de taper “voisin” sur Google pour voir apparaître des propositions de recherches liées aux nuisances. Logique puisque, dans l'inconscient collectif, le voisinage n'est pas synonyme de bonheur absolu.
Musique trop forte, conversation nocturne, travaux dominicaux, le moindre signe de vie de nos voisins est bien souvent vécu comme une intrusion dans notre intimité. On les entend sans les voir.
Vouloir prendre de la distance avec ses voisins est devenue une volonté partagée par nombre d'entre nous. “Selon une étude que nous avons menée, pour 72 % des Français, le bon voisin c'est celui que l'on ne voit jamais”, nous indique Atanase Périfan, créateur de la Fête des Voisins en 1999 et de l'association Voisins Solidaires en 2007.
Une statistique que l'on peut expliquer par l'augmentation de la population humaine, selon Hélène L'Heuillet : “on pouvait craindre jadis d'être isolé, de ne pas avoir de voisin. Aujourd'hui avec l'habitat de masse nous n'avons plus le choix, le voisin devient une gêne.”
La multiplication des initiatives “amicales”
Pourtant, les plateformes collaboratives à l'image de Smiile ou les sites de trocs entre voisins se créent de plus en plus. Les voisins seraient-ils devenus schizophrènes ?
“Pas du tout”, répond Nathan Stern, sociologue et fondateur de plateformes comme Peuplade en 2003 ou Voisin-Age en 2018. “Le voisinage est une nouvelle forme de communauté, inclusive, qui échappe aux relations marchandes”, explique-t-il.
L'individualisme que l'on a tendance à associer à notre époque n'est pas synonyme de repli sur soi selon le sociologue. Atanase Périfan confirme : “il y a des gisements de générosité chez les gens.”
C'est pour mettre en valeur cet aspect positif du voisinage qu'Atanase Périfan a lancé la Fête des Voisins et l'association Voisins Solidaires. “Chez soi c'est le seul endroit où on peut être tranquille, du coup le voisinage c'est ce qu'on a de plus cher”, précise-t-il.
Apprenez à devenir intéressé
D'un point de vue purement stratégique, mieux vaut s'entendre avec vos voisins. Comme le souligne la philosophe Hélène L'Heuillet : “Si l'on n'entretient pas un minimum de relation, comme dire bonjour par exemple, il sera difficile de franchir l'obstacle de la timidité quand on aura besoin de demander un service.”
D'où l'intérêt de participer à la Fête des Voisins. “C'est un prétexte pour que les gens se parlent. On a tous intérêt à avoir de bonnes relations de voisinage”, indique M. Périfan.
Attention à ce que cette initiative ne devienne pas un moyen de trier les bons des mauvais voisins, prévient la philosophe : “C'est formidable cette fête mais il ne faut pas qu'elle devienne un nouveau commandement, une nouvelle injonction.”
C'est vrai ça, comment faire en sorte que les événements de voisins ou les groupes Facebook comme celui de Julie, ne viennent anéantir toute forme de vie privée ? Une crainte écartée de la main par Nathan Stern. Selon lui, appartenir à une communauté, comme celle du voisinage, impose certaines règles et permet de mieux vivre ensemble.
L'anéantissement de la vie privée ?
De plus, les sites ou réseaux sociaux ne sont pas plus intrusifs qu'une fête des voisins par exemple. Mieux même, ils seraient un rempart contre l'intrusion : “Avec Facebook le lien est avantageux, puisque l'on choisit la distance que l'on souhaite établir avec l'autre. Je trouve cela beaucoup moins intrusif qu'un voisin qui vient frapper à ma porte”, précise Nathan Stern.
Sur les réseaux sociaux, en paramètrant l'accès à votre profil, il est en effet possible de se protéger des profils curieux et de contrôler ce que vos voisins peuvent voir ou non.
Mais alors, existe-t-il une bonne distance entre voisins, celle qui nous permettrait de profiter d'une bonne entente générale sans être envahi par un tiers ?
Pour Hélène L'Heuillet tout est une question de perception : “On ne peut pas vivre ensemble si l'on pense qu'il y a quelqu'un qui vit en face de chez nous, avec un oeil intrusif qui pénètre notre intimité. Il faut considérer que l'autre vit à côté de nous.”
Effectivement, se réapproprier la notion de coexistence c'est prendre conscience que nous partageons un lieu qui nous est commun. Puisque nous ne pouvons faire sans eux, rien ne sert de les nier ! Faisons un pas vers eux, mais pas trop quand même...